L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

Sur le manuel d'Epictète (08 03)

Ce «Manuel» d'Épictète fait l'objet d'un certain engouement actuellement sur la toile. Pourtant, il n'est pas de la propre main du philosophe. Comme Socrate, Épictète n'a rien écrit. Il s'agit plutôt d'une compilation de son enseignement réalisée par l'un de ses disciples, Arrien de Nicomédie. Il apparaît donc comme un mémento de sa doctrine. Il s'agit d'un texte de l'an 125 de notre ère. Des thérapies cognitives d'aujourd'hui s'en inspirent largementVoilà comment débute ce fameux Manuel et son premier chapitre :

" Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non. De nous, dépendent la pensée, l'impulsion, le désir, l'aversion, bref, tout ce en quoi c'est nous qui agissons ; ne dépendent pas de nous le corps, l'argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n'est pas nous qui agissons. 

Ce qui dépend de nous est libre naturellement, ne connaît ni obstacles ni entraves; ce qui n'en dépend pas est faible, esclave, exposé aux obstacles et nous est étranger. 

Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave et pour un bien propre ce qui t'est étranger, tu vivras contrarié, chagriné, tourmenté ; tu en voudras aux hommes comme aux dieux ; mais si tu ne juges tien que ce qui l'est vraiment - et tout le reste étranger -, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la route ; tu ne t'en prendras à personne, n'accuseras personne, ne feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu n'auras pas d'ennemi puisqu'on ne t'obligera jamais à rien qui soit mauvais pour toi.

À toi donc de rechercher des biens si grands, en gardant à l'esprit que, une fois lancé, il ne faut pas se disperser en œuvrant chichement et dans toutes les directions, mais te donner tout entier aux objectifs choisis et remettre le reste à plus tard. Mais si, en même temps, tu vises le pouvoir et l'argent, tu risques d'échouer pour t'être attaché à d'autres buts, alors que seul le premier peut assurer liberté et bonheur. 

Donc, dès qu'une image ou une représentation viendra te troubler l'esprit, pense à te dire à son sujet: «Tu n'es que représentation, et non la réalité dont tu as l'apparence.» Puis, examine-la et soumets-la à l'épreuve des lois qui règlent ta vie : avant tout, vois si cette réalité dépend de nous ou n'en dépend  pas ; et si elle ne dépend pas de nous, sois prêt à dire : «Cela ne me regarde pas.» "  

Avec Sénèque et l'empereur Marc Aurèle, Epictète est l'un des fondateurs et porteurs du stoïcisme. Tout le principe de base de cette philosophie est dit dans ces premiers paragraphes. Vous vous souvenez combien de fois j'ai pu citer cette fameuse phrase de Marc Aurèle : "Ce ne sont pas les choses qui nous gênent mais le regard que nous leur portons". Là est toute la posture de cette philosophie simple et efficace.

Oui, elle se rapproche fortement d'autres sagesses anciennes, comme le bouddhisme ou le christianisme, chacune avec ses particularités. Mais le fond demeure bien similaire : lâcher prise et laisser faire l'univers (Dieu, pour d'autres). C'est notre cœur d'enfant que la sagesse nous invite à retrouver et faire vivre. Elle nous invite à Laisser la providence faire, car au fond de soi, comme le proposait Aristote, se trouve l'universel. C'est là le fond de cette sagesse...

Comme me le suggérait mon philosophe de frère, "Si toutes ces sagesses sont convergentes, c'est sûrement qu'il n'y en a qu'une". Mais permettons-nous d'aller un peu plus loin dans les correspondances qui existent à ce sujet entre lesdites sagesses : plus globalement ce que représente l'une, rapportée à ce que dit l'autre.

Ce qu'il y a de commun, c'est l'idée d'une transcendance, d'une présence pensante qui dépasse ce que nous voyons. Il s'agit d'une puissance fondatrice que d'aucuns nomment Dieu et d'autres l'univers, voire encore le "grand tout" ou la source. Pour chacune d'elles, nous appartenons et dépendons de cette "source". Pour certaine, cette transcendance nous dépasse, pour d'autres, nous en sommes. Cette puissance à la fonction et la capacité de pourvoir à nos besoins et nécessités.

La posture de l'accueil et du lâcher prise correspondrait donc à un "laisser agir la providence" pour les uns, à un "karma" pour d'autres, à "la nature des choses" pour d'autres encore. L'idée de fond, et commune, est que ce n'est pas la personne humaine qui fait, crée, réalise, conquiert ou produit. En revanche, c'est bien la puissance transcendante qui y pourvoit au bénéfice de la personne. L'autre point commun, et non des moindres, est que la dimension d'amour traverse et imprègne toutes choses, toutes démarches, même si les cultures modernes et postmodernes voient là l'indice d'une naïveté puérile.

Le christianisme prône l'amour des uns envers les autres, le bouddhisme la bienveillance et la compassion dans un amour inconditionnel. Le chamanisme, quant à lui, aura plutôt tendance à voir une bienveillance spirituelle. Pour mémoire, animisme et chamanisme sont des noms différents pour reconnaitre des sagesses et représentations du monde communes à de nombreuses populations qui ne se sont jamais rencontrées. 

J'invite le lecteur à approfondir ces éléments par la lecture des travaux éclectiques de l'anthropologue Bruno Etienne, spécialiste du fait religieux à travers le monde. Il a notamment montré la correspondance de rituels d'une région du monde à l'autre, et parfois leur étrange similitude révélant une étrange communauté de croyance. Le phénomène est identique pour les représentations sociales et ce sans qu'aucun lien social ne relie ces populations.

On voit que le consommateur postmoderne, dans ce monde néolibéral, se trouve plutôt à la quête de biens de richesses et de notoriété. Ces choses-là, justement, sont hors de sa portée, soumises à des éléments qui ne sont pas à sa main. Il y a dans cette posture un biais important conduisant aux plus lourdes frustrations et insatisfactions. Voilà qui constitue une pauvreté radicale en terme de paix et de bonheur.

Il nous faut juste réaliser qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaises conditions de nos vies. Elles sont ce qu'elles sont et nous avons à les accueillir comme telles. Sans jugement de ce que nous vivons, il n'y a ni bien ni mal, ni bon ni mauvais, ni plaisant ni déplaisant, ni positif ni négatif. Il y a simplement ce qui est présent à vivre, sans emballement ni crainte, en toute sérénité... et, dans ces conditions, cette sérénité n'a pas de contraire.

Il est à se rendre compte que dans la frustration, comme dans le delta entre l'émotion et la réalité, s'inscrivent des colères, des emballements et des peurs, qui effacent la réalité et notre rapport à elle. Alors on quitte le présent pour le monde projeté des émotions, lequel altère notre rapport au réel. On y revient en devenant le témoin de ces émotions-là plutôt que leur jouet.

Installés dans l'instant présent et dans l'accueil de ce sur quoi nous n'avons pas la main, alors le pardon et la tolérance sont des comportements simples à développer. Et de fait, ils sont de l'ordre de ce sur quoi nous avons la main. Si le pardon est le renvoi, à l'auteur du malfaire, des responsabilités et conséquences de son acte, la tolérance, de même si elle laisse toutes les conséquences et les responsabilités à son seul auteur, elle n'exclue pas la défense du monde que l'on souhaite. Je renvoie à l'excellent écrit de Karl Popper sur le sujet ("La Société ouverte et ses ennemis, tome 1 : L'Ascendant de Platon (1945)", Seuil, 1979).

Il y développe notemment que "Tant qu’il est possible de les contrer (les intolérances totalitaires) par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire. Mais il faut toujours revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple."

Cependant, qu'avons-nous comme pouvoir sur le comportement et la pensée d'autrui ? Seulement celui du débat et des échanges, voire celui de la contrainte et du combat. Mais avons-nous vraiment le pouvoir de changer les opinions, croyances et points de vue d'autrui ? J'ai comme un doute. Alors faut-il accueillir ce qui ne nous appartient pas ? Peut-être, mais pas avant d'avoir posé ce que nous en pensons, ce que nous en voulons ou pas.

Il faut alors juste prendre conscience que la réalité, comme le disent les constructivistes, n'est jamais que ce regard que l'on porte sur les choses. Il ne s'agit, en l'occurrence, jamais des choses elles-mêmes. Seule, en la matière, la lucidité sur notre rapport aux choses en détermine ce que l'on en vit, en "voit", en retient et en comprend. Un quelconque réel n'en précède pas ce que l'on en retient, à savoir la "réalité". Il nous faut garder en tête que toute réalité est la conséquence de la conjonction de six variables :  les représentations et les nécessités, l'amour et la peur, les notions de réalité et de vérité*

Ensuite, il faudra juste comprendre que le monde de la compétition et de la concurrence, du toujours plus, est celui du néolibéralisme, cette postmodernité consumériste et individualisée. Celle-ci est habitée par des dominants et des dominés, dans un entre-soi où la fraternité et l'humanisme ne sont que des mots et des empêchements à consommer en rond. Elle constituent un freint à la domination de quelques-uns sur tous les autres. Juste savoir qu'on ne se soumet pas pour être libre. Se soumettre pour être débarrassés produit l'inverse : le renforcement de la domination.

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi les thérapies cognitives actuelles viennent et reviennent sur les principes stoïciens, s'appuient sur eux pour ouvrir aux patients une voie de satisfaction et de sérénité, d'un bonheur simple directement accessible. L'outil est le lâcher prise à partir de la prise de conscience de ce qui est en notre pouvoir (l'action et la pensée) et de ce qui n'en est pas (le contingent). Il s'agit, comme le suggéraient Epictète, Sénèque et Marc Aurèle, de changer son regard sur les choses et ainsi changer notre rapport au monde. 

Dans ces conditions, le stoïcisme serait-il devenu une philosophie à la croisée des chemins civilisationnels ? Certainement...

* Voir dans ce blog l'article : "Penser le réel"

Jean-Marc SAURET
Le mardi 8 mars2022

Lire aussi "Ce que les gens pensent de nous dépend de leurs intérêts"



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