A propos de l'évolution culturelle de notre société, nombre de
sociologues, comme Michel Maffesoli, en font une description de mutations
radicales, successives. Il est loisible de mesurer l’évolution, depuis une
société classique, « moderne », issue du siècle des
lumières, et fondée sur la rationalité et le scientisme. C’est elle qui,
justement, construit la mort de Dieu, derrière l'émergence d'un humanisme
rationaliste et « laïcard ». Ils décrivent
ensuite l’ouverture d’une société hédoniste, sur-consommatrice,
profondément ancrée dans la jouissance et l'émotion, qu'ils nommèrent la
post-modernité.
Nous avons vu précédemment comment, depuis cette évolution
post-moderne, émerge une autre évolution "quantique" de la société.
En l’espèce, elle définit un temps d'après, révélant une
démarche pragmatique, elle-même fondée sur une
représentation « personnaliste » et en réseau de notre
"vivre ensemble". On assiste à un retour
de « l'œuvre », comme raison d'être de ce vivre ensemble,
après ce "jouir omnipotent" qui inonde la post-modernité. Je
l’appelle l'alternation culturelle ou l'ère quantique.
La société moderne, rationnelle, pyramidale, fondée sur
l'individu et le principe de démocratie, sont en train de
s’effacer progressivement sous les évolutions successives. La société
post-moderne, celle que l’on peut qualifier d’hédoniste, d’émotionnelle, ou
de tribale, installée dans l'ici et le maintenant, se
trouve aujourd'hui bousculée par l'installation progressive, ça et
là, de réseaux émergeants, pragmatiques et intuitifs. Composée de
personnes engagées dans une intemporalité relative, ladite ère quantique peut
être qualifiée de fractale et diffuse.
Si la société post-moderne comprend une population dépendante
d'un environnement séducteur, prometteur, aguicheur même et tentateur,
la vague fractale, quant à elle, concerne bien d’autres personnes.
Celles qui, justement, ont effectué ce lâcher prise, au
regard des tentations séductrices et des promesses d'un système
d'ultra consommation. C'est là la clé de compréhension de cette
mutation, en émergence. Mais regardons de plus près.
Je ne reviens pas sur les descriptions des différentes ères
sociétales. Je l'ai exposé dans des articles précédents*. Ce qui
m’apparaît aujourd'hui est une motricité singulière de ces mouvements qui
distingue chacune de ces phases. Autant la
modernité constitue-t-elle une rupture ontologique et "théocide**", en référence au Moyen-âge et à la Renaissance.
C’est ce qui fit d’ailleurs la transition.
La post modernité, en revanche, s’avère être une période de
transition à la gloire du client-roi, et du dieu-consommateur. La
voilà devenue à la fois réceptacle et dépositaire
des jouissances possibles de ce monde. Cela fait de cette période une ère
d'attente, de quêtes et de frustrations. L’illusion qu’elle
entretient, comme le disait Lacan, fait que la jouissance est due et
qu'elle est à portée de tous et de chacun. Comme ce n'est pas réellement le
cas, les citoyens se trouvent confrontés à un manque que renforce la promesse.
La caricature du client-roi, ou du consommateur-dieu, est résumée dans cette
interjection : "J'ai droit à… puisque je le veux !".
La psychanalyse freudienne considère cette caricature comme propre
aux postures d'enfants de cinq ans, tout puissants. Nous sommes en présence
d'acteurs inactifs en termes de construction et de création. Ils se vivent en
revanche comme chasseurs de rêves et de chimères. Tartarin de
Tarascon n’est pas mort ! Les espoirs de quête et de succès
immanquables (parce que contenus dans la promesse) viennent augmenter
d'autant, la frustration et la rage de reconquêtes. On peut dire de ces
gens-là qu'ils sont des "addicts" de la jouissance, et
de cette promesse de bonheur par l'avoir. Cette addiction est structurelle
de la post-modernité. Elle façonne les comportements dans les familles, les
tribus, les organisations, les entreprises. Ces gens-là font peu, réclament
beaucoup, prennent avidement et ne remercient jamais. Imaginez ce qui se passe
lors des buffets des vœux dans les municipalités, les entreprises, les
institutions... Regardez ce qui se passe dans certains magasins le premier jour
des soldes... Ne pourrait-on pas dire que ces populations sont sous l'emprise
de contraintes stupides et aussi prégnantes que
« limitantes » ?
Dans les populations alternantes culturelles, de cette ère
quantique naissante, les comportements sont différents parce que ce
sont les postures qui s’avèrent radicalement différentes. Cette
ère sous-tend le fait que les acteurs refusent l'accumulation des
frustrations issues du piège de la surconsommation. Ils refusent la
promesse libérale. Ils "lâchent" sur la quête de jouissance.
L'essentiel n'est plus là. Il est dans le plaisir de faire, de réaliser. Ils
font un retour à l'œuvre et à l'identité par l'action. Ils réfutent les modèles
d'identité par l'avoir. Ils ne croient plus
que c’est l'objet qui fait la jouissance. Ils sont
conscients que la conquête desdits objets n'ouvre que sur d'autres quêtes. Ils
ont vu la supercherie, l’ont intégrée, et s'en détachent.
Il y a chez les alternants culturels ce lâcher prise, cette mise à
distance des quêtes et des promesses auxquelles ils ne croient plus. Leur
moteur est bien là. Alors s'ouvrent pour eux de nouveaux espaces identitaires
et de liens sociaux : le "faire ensemble" ! Ils savent,
maintenant qu'il est très utile, voire indispensable. C’est cette conscience
qui leur permet de s'associer pour réaliser. Ils savent que les décisions
leur appartiennent en propre, qu'elles n'appartiennent aucunement à un ou une
personne en position d'autorité, de pouvoir ou de propriété. Ils ont dissocié
ces variables et personne ne pourra les faire revenir dessus, car
cela irait à leur encontre. Voilà qui est définitivement acquis.
On peut dire que ces populations sont dans des postures bénéfiques et
libératrices de lâcher prise,… par le lâcher prise.
Voilà exactement pourquoi, par exemple, le management
humaniste devient aujourd'hui incontournable. Voilà pourquoi les
démarches d'intelligence collective sont inévitables, que les structures déstructurées
s’avèrent à l’évidence plus efficientes que les « vieilles bureaucraties »,
et autres pyramides organisationnelles. Voilà pourquoi les clans, les bandes,
les réseaux inondent les populations et deviennent si forts.
Voilà pourquoi les sondeurs et politologues ne comprennent
plus grand-chose aux réactions populaires. Soit les acteurs sont des
alternants culturels, et ils sont dans les mouvements populaires (derrière
des Berny Sanders, Jeremy Corbin et autre Jean-Luc Mélanchon), soit ils sont
des post-modernes et ils sont dans les mouvements populistes à croire en des
promesses toujours aussi illusoires (mais rentables) que celles de
l'ultra-consommation. Certes ! Mais ils en ont tellement besoin...
qu'ils votent populiste. Il n'existe pratiquement plus de modernes et pourtant
les sondeurs continuent leurs explications rationnelles et chiffrées. Les clés,
je crois, sont là. A nous d’ouvrir les nouvelles portes de la conscience !
* Voir les trois articles consécutifs intitulés : "Les nouveaux liens sociaux"
** "Théocide", néologisme pour dire une société "tueuse de dieu"
Jean-Marc SAURET
publié le mardi 14 février 2017
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.