Nous regardons avec un sentiment
bizarre la déconstruction sous nos yeux de la société politique, celle qui
donnait le ton, le LA, le cap à notre société. Nous suivions les leaders
charismatiques, symboles de pouvoir et porteurs de sens. Ce temps-là est
révolu. Ce ne sont plus les dirigeants des états qui gouvernent mais les
banques. Ce ne sont plus les partis qui font la politique mais les marchés et
les lobbys. Ce ne sont plus les représentants de l'état et des institutions qui
dictent la morale sociétale mais les religieux, les économistes et, quelquefois, les philosophes. Pendant que
la société tente de survivre à ces chaos, les mouvements populaires de
renaissance se développent. Ce sont les révolutions orange, les Printemps Arabes, Indignés, Podemos, Syriza, Colibris, Cap 21, Démocratie réelle, Bleu Blanc Zèbre ou
Nuits debout. Avec le développement de la post-modernité, c'est une société
fractale qui se répand, communautaire, émotionnelle et consommatrice,
mais aussi plurielle, "réseauteuse", intelligente, sensitive et inventive.
La société officielle affiche les
mêmes standards qu'une démocratie institutionnelle et représentative. Pourtant, son
mode de fonctionnement reste installé dans les couloirs du pouvoir, loin des
peuples et des gens, ceux justement dont elle prétend être issue et qu'elle tente en vain de
représenter aujourd'hui. Le peuple n'est décidément plus le socle ! Déjà Nietzsche disait
que "le mensonge de l'état est qu’il prétend être le peuple".
Mais plus personne ne souhaite
plus être représenté. Tout le monde espère se représenter lui-même, parler en
son propre nom. L'accès pluriel à l'information, sa diffusion large et ouverte
invitent à une prise de parole directe et constante de tout un chacun. Plus
personne ne rêve de lendemains qui chantent. Le plus grand nombre veut vivre
maintenant, sans attendre, pleinement sa propre existence, la savourer en la
partageant. Les promesses agacent. S'il y a des leaders, ils ne sont plus
qu'éphémères et provisoires, les emblèmes de tous ceux qui parlent
avec eux. Il n'y a ni représentants ni porte-paroles. Il y a juste l'intense
envie de vivre ici et maintenant, se sentir là, dans l'événement.
Les deux modèles sont
incompatibles et cependant on ne fait pas sans les gens, car une société est un
système vivant de personnes vivantes. Or, les gens échappent aux pouvoirs.
Remonte alors l’opposition de postures entre d'une part les prédateurs et de
l'autre les coopérants, co-constructeurs, co-créateurs.
Un monde s'achève, celui des
finalités lointaines, celui de la "valeur progrès", celui des objectifs et de la
matérialité, celui de la rationalisation. Fini le finalisme ! Vive l'ambiant et
le reliant, l'œuvre partagée, immédiate et intemporelle, sans objectif, sans
dessein, sans projet, fondée sur l'envie, l'intuition et l’impulsion de désirs.
Voilà un ancien monde qui continue à promettre un avenir meilleur,... et tout le monde s'en fout !... Aujourd'hui, dans les entreprises et les administrations qui se réorganisent, les collaborateurs ne
discutent plus le dessein final. Ils veulent juste savoir comment on y va... et si ça
leur va, ils y vont. Sinon, retournez-vous, il n'y a plus personne...
J'ai entendu des employés dire à
leurs responsables :"Ok, on a bien compris qu'il fallait continuer avec
moins de moyens. On le sait. Mais comment fait-on ? Quelles sont les priorités
?" ...et les managers ne savent parfois pas répondre. Ils tournent et se retournent dans
des circonvolutions oratoires embarrassées, se racontent, se singularisent et ne
convainquent plus personne.
Quand on conduit un changement,
trois choses s'imposent d'elles même : le sens, la forme et la manière. Si la
manière est parfois radicale, avec le retour d'un taylorisme excessif, la
forme est esquissée, au mieux dessinée et on ne parle que de cela dans les réunions managériales
d'explication. En revanche, la question du fond reste étrangement vacante...
comme si même les managers n'en disposaient pas. Pourquoi faisons-nous ces
changements, ces réorganisations ? Le sens est rarement donné, comme "s'il n'avait pas de sens", comme toute cette mécanique allait de soi.
Normalement, quand nous voulons
changer quelque chose, c'est parce que nous en espérons un fonctionnement meilleur, adéquat, un
résultat précis, celui dont justement nous ne disposons pas et que l'on semble incapable de nous donner. Quand votre conjoint vous dit "Il va
falloir changer le lave-vaisselle", vous comprenez tout de suite de quoi il est question. Et si vous ne le savez pas, la question fuse : "Pourquoi ?
Qu'est-ce qui ne va pas ?". Et la réponse arrive tout de suite : "Il ne
lave plus.. Il ne sèche plus... Il surconsomme et fait disjoncter le
compteur..." ou toute autre explication sur l'état espéré non atteint. Et si
vous ne comprenez pas, la discussion s'installe avec des comparaisons entre
l'attendu et le réalisé. Ensuite, vous prenez ensemble une décision compte
tenu des contingences (budget, préférences de modèles, largeur et profondeur
de l'espace où le loger, proximité des magasins, moyens de transports, etc.).
C'est ce que l'on appelle la charge contextuelle. Le sens a ses raisons. Autant les connaître et les partager.
Actuellement, ces questions-là, ce débat-là, disparaissent des organisations. La question du sens devient vacante. Sans sa
réponse personne ne se lève pour "aller chercher le lave-vaisselle". "Nous allons réorganiser la direction ! Voilà la nouvelle
organisation..." et comme personne ne comprend pourquoi, chacun y attribue
un sens : "Tu parles, ils ne veulent pas le dire, mais c'est juste pour
économiser sur notre dos", "Mais non, c'est le directeur qui veut se
faire mousser, laisser sa trace", "oui, tu as raison. Ils veulent
tous faire pipi autour de la pièce". La direction n'a pas communiqué sur
le sens et les collaborateurs en ont trouvé un... aux risques et périls de
l'organisation.
Les gens sont vivants. Ils continuent de vivre, même passé l'entrée de l'entreprise, de l'administration. La société officielle est encore celle, bureaucratique et mécaniste, du siècle dernier. Elle a tué le "sujet" pour mieux maîtriser les risques humains (?). Alors que la société officieuse, celle qui monte et occupe le terrain tout en se moquant du pouvoir, est vivante, émotionnelle, immédiate, romantique, "reliante", conversationnelle, "réseauteuse", présente. Elle occupe le terrain. L'une des deux va mourir. Bien des gens pensent que celle qui a le pouvoir est immortelle. A ceux-là, j'aime à rappeler la phrase de Louise Michel : "Cinq minute avant, cela paraissait improbable. Cinq minutes après, cela paraissait évident !"
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 28 juin 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vos contributions enrichissent le débat.