Claude, Véronique,
Nicolas et Catherine sont à table à la cantine de la préfecture. Ces quatre
collègues administratifs ont l’habitude de se retrouver chaque jour à midi
trente pour déjeuner. Aucun ne voit les autres en dehors du cadre professionnel
de la préfecture.
Habituellement volubile
et expansif, ce midi, Claude est réservé. Le week end n’as pas été reposant. Il
l’a passé à soigner son chat malade qui, malheureusement, n’a pas survécu. Il
en a beaucoup de peine mais ne souhaite pas en parler. Il a un peu honte de
montrer son émotion pour la perte d’un chat. D'ailleurs, il est habituel entre
collègues de ne pas trop partager sur sa vie privée ni sur ses opinions, une
sorte de laïcité des sentiments et des opinions.
De son côté, Catherine
n’est pas non plus très bien dans sa peau. Il y a un conflit de leadership qui
l’implique dans la section locale du parti politique auquel elle milite depuis
des années, mais elle n’a jamais fait état de son appartenance à ses collègues,
laïcité politique oblige.
Nicolas, qui pensait
pouvoir développer une aventure avec sa voisine, à l’insu de leurs conjoints
respectifs, vient de se faire éconduire. Véronique, comme à son habitude,
s’ennuie.
« Tu ne dis rien,
Claude ? » interroge Catherine.
« Non, je n’ai pas
bien dormi… Sûrement quelque chose qui n’est pas passé... »
« Quelque chose que
tu as mangé ? » Questionne Véronique.
« Oui, j’étais chez
des amis, samedi soir… ». Il n’y a cependant rien de vrai dans ce
commentaire et les assertions de Claude se sont succédé à l'aune de ce que suscitaient
les questions de Catherine.
« Eh bien tu peux
changer d’amis. C’est là une bonne raison, non ? », réagit Nicolas,
le sourire en coin.
Tous les quatre rirent
exagérément, comme de bon cœur.
« Tu as raison, En
France, faire mal manger est un casus belli ! » repris Claude en
riant.
« La prochaine
fois, vaut mieux que ce soit toi qui les invite » glisse Catherine
« Tu
parles ! repris Nicolas à la volée, Là ce sont ses amis qui déclarent
la guerre ! »
« Dis que mon
épouse cuisine mal ! » relance Claude dans un large sourire, et ils
re-rirent tous exagérément, comme de bon cœur. Et puis, dans un silence
convenu, ils replongèrent leurs nez dans leurs assiettes. Avant que le silence
ne devienne pesant, Véronique lance :
« Vous avez vu le
costume de Jean-Paul ce matin ? Il a une tâche au coude… Il ne s’en rend
pas compte ou il s’en moque ? »
« Surement un peu
des deux… » reprit Catherine. Mais personne n’avait de bonne
raison de dire du mal de Jean-Paul et le silence retomba.
Comme pour tromper son
ennui, Nicolas regardait à droite, puis à gauche et croisa le regard
de Véronique que son mouvement de tête semblait interroger.
« Tu as vu que
Daniel et Françoise déjeunent ensemble ?... » lança-t-il.
« Ils ont aussi
mangé ensemble la semaine dernière… » répondit Véronique laconiquement et
personne ne reprit car personne n’avait envie de montrer qu’il ou
elle avait vu qu’une idylle nouvelle et compliquée semblait naître là sous
leurs yeux… et, comme ils n'avaient aucun de bonnes raisons de dire du mal de
ces collègues, le silence retomba à nouveau. Comme s'il s'agissait surtout ne
pas s’en mêler…
« Bon, reprit Claude,
je vous offre le café ? »
« Ah, ça c’est une
bonne action ! » lança Nicolas et tous reprirent à rire exagérément,
comme de bon cœur, car personne ne voulait donner à voir de son petit monde
intérieur, mais avait tant besoin de la présence des autres dans ces temps
douloureux, difficiles ou ennuyeux. Alors chacun se conformait à jouer le rôle
convenu et lisse du bon collègue... et pourtant chacun savait qu'il perdait à
ce jeux idiot sans oser jamais en briser le confort. Vous reprendrez bien
un sucre ?
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 3 mai 2016
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