Le monde de la toile est une
virtualité. Sa réalité concrète n'est nulle part. Comme
disait un vieux paysan, ami de mon père : "Que la
lumière s’éteigne et il n'y a plus rien !" et quand il disait
"lumière" dans ces années soixante là, il parlait de l'électricité.
Que l'électricité s’arrête et il n'y a plus rien. Prémonitoire ou
visionnaire, il savait qu’alors tout est perdu. Toute la
toile disparaît avec ses reflets virtuels du réel. Mais
aussi s'arrêtent votre réfrigérateur, votre congélateur, votre plaque de
cuisson, votre chauffage central, la pompe à essence de la station-service, la
signalisation des rues, bientôt votre automobile, l'ouverture de la porte
d'entrée de l'immeuble, soit tous les moyens de stockage, de confort, de
communication, de circulation... Tout !
Autre constat à corréler : il y a
un écart considérable entre la destination d'un objet (comme une pince ou une
clé à molettes...) et son usage (...par exemple pour planter des clous ou ouvrir une
boite de conserves). Ainsi, ce pourquoi les outils et objets sont produits
est confortablement laissé de côté pour un usage parfois bien éloigné de
sa destinée. Des gens bien intentionnés avaient créé le
minitel, l’ancêtre des réseaux sociaux, pour diffuser de
l'information publique et des services, et les gens s'en sont servi pour
organiser des rendez-vous galants. C'est de là que vit l'innovation et commence
le monde suivant. La surmultiplication des outils, comme ceux des TIC, fait que
ce moment-ci est un des plus prodigieux en termes d'évolutions. Mais allons-nous
dans un sens qui nous convient, que l'on espère ?
Mais pourquoi rassembler ces deux
concepts apparemment relativement éloignés, du moins bien distincts ? Parce que ce fragile monde virtuel ne fonctionne pas selon les principes, les us et coutumes de
la production, mais selon ceux de leurs usages. Le consommateur et
l'utilisateur (sachez que si vous ne payez rien sur la toile, c'est que vous
êtes la marchandise.) sont les architectes, les designers de la réalité. C'est
bien ça qui est le nouveau cadre de nos vies, de nos organisations, de nos
institutions. Ainsi, les entreprises vivantes ne sont pas des murs, ce sont des gens ; ce ne
sont pas des règles, ce sont des idées ; ce ne sont pas du contrôle, mais de l’efficience ; ce ne sont ni des coûts ni des prix, ce sont des valeurs
d’usage. Nous sommes les acteurs de notre monde. Nous en sommes les créateurs et nous nous comportons comme des dieux. Voilà où nous en sommes en terme de réalité.
Non seulement nous sommes dans
une réalité qui ne tient qu'à un fil (...électrique), mais cette réalité toute
virtualisée devient émotionnellement et affectivement notre "réel" par nos seules adhésions.
Ce monde sur lequel nous avons la main, nous donne l'illusion d'une extrême puissance
personnelle : nous jugeons de lui à tout instant et en toute liberté. Nous
avons toujours raison et d'un simple geste du pouce (cf. "Petite
poucette" de Michel Serres, 2012) on efface ou on reconstruit...
Ce monde si facile nous fascine. Il nous aspire dans la spirale de toute-puissance, de "l'omni-puissance".
Il devient "notre monde préféré", celui dans lequel on s'installe au
premier temps libre venu (ou pas, d'ailleurs). Addicts, nos rendez-vous
amoureux sont sur les réseaux sociaux et se consomment le portable à la main...
Nos repas entre amis aussi, nos réunions de travail de la même manière. Le smartphone est sur la table et l'oreille réactive au moindre son programmé. Un petit coup de pouce et l'attention est aspirée dans l'appareil.
Mais voici venir de nouveaux
acteurs qui ne répondent pas au téléphone, qui ne retweetent pas vos messages
ou ne likent pas vos publications. Mais que font-ils donc ? Où sont-ils ? Ils
écrivent. Ils repeignent un vieux buffet. Ils désherbent leur carré-potager.
Ils prennent une photo, enregistrent une nouvelle chanson ou bien composent un nouveau plat sans viande ni graisse
animale. Ils sont les alternants culturels. Ils sont le retour sur l'œuvre.
Véritablement pragmatiques, ils fonctionnent en réseaux, à l'amitié, à la
proximité réelle. Ils ont le temps. Ils ont conscience que cette virtualité
nous perd et que ceux qui en vivent se moquent de nous, tentent de nous
instrumentaliser et y parviennent, peuvent tout savoir de nous, de nos envies,
de nos goûts et nous vendent en fichiers.
Ceux-là ont
une extrême conscience de la fascinante virtualité qui nous est
proposée en guise de monde. Ils n'en veulent pas et préfèrent un monde
réel, tactile, avec ses odeurs et ses goûts, ses sons naturels, ses
lumières et couleurs sensibles non photoshopisées. Ils savent que
"fascinant" et "fasciste" ont la même racine. Agir au naturel
devient un acte révolutionnaire, un acte de résistance, une action subversive.
Ils le font parce que la réalité est là. Il ne s'agit pas d'une décision
idéologique, mais d'une simple réaction pragmatique et de bon sens. Ils ne
jouent plus... ça suffit... on change de paradigme, c'est tout ! ...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 5 janvier 2016
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