Ce qui distingue mon approche humaniste de
l'approche personnaliste d'Emmanuel Mounier, ancrée dans la doctrine
sociale de l'église catholique, est une variable, une caractéristique de sa
conception de l’humain. Dans son essai « Communisme, anarchie et
personnalisme », Emmanuel Mounier, propose en 1966 une réflexion sur
l’autorité qu'il appuie sur les travaux de la théologie chrétienne (cette
approche semble réciproquement avoir inspiré la doctrine chrétienne
de l’autorité).
Il pose que, si la société était composée
d’hommes justes, il n’y aurait pas besoin d’autorité. Et il pose aussi que
les êtres humains naissent selon lui inachevés
: ce seraient des êtres en devenir qui auraient besoin d’un appui
pour développer leur humanité.
C’est précisément cet inachèvement, qui, selon Mounier, fonde et légitime
l’autorité (autorité qu'il distingue fort justement du pouvoir). Posant cela, Mounier qualifie aussi la valeur de perfection et la vérité comme une réalité intrinsèque sise dans "le monde" et faisant référence à l'humain, le tirant dans la transcendance d'une entité dominante.
C'est sur cet axe là que mon approche diverge. Bien que je partage cette orientation de la personne au service d'un développement social de l'autonomie fertile, et ce dans des postures bienveillantes, modestes et créatives, j'ai plusieurs fois montré mon attachement à l'approche
constructiviste qui pose que la réalité n'est que la conscience que l'acteur, le
sujet, a de ce qu'il considère, regarde, voit. Comme l'indiquait Arthur
Schopenhauer, "il n'y a de réalité que la conscience que le sujet à de
l'objet. Si le sujet n'est pas là, l'objet disparaît*".
Cette réalité, comme conscience du monde et qui
constitue l'approche constructiviste, exclut la vérité comme objet du réel mais la pose comme un simple jugement sur la réalité (tout comme à propos de la perfection, d'ailleurs). La vérité n'est donc plus qu'une appréciation du sujet sur l'environnement, un jugement, une mise en lois et en forme de ce qui l'entoure, de ce qui le concerne. Elle est alors bien relative et n'a rien d'absolu. Pour que cela fût, il eut fallu que réel et réalité soient confondus, soit que l'essence précède l'existence, comme le pensait Bergson, voire même que l'existence précède l'essence, comme le pensait Sartre. Or, ce n'est le cas ni de l'un ni de l'autre. Ces deux "étant" sont de même nature, tous deux sis dans la conscience du sujet-regardant loti de ses croyances structurantes, et nulle part ailleurs. Que l'un précède l'autre n'a donc aucune importance. C'est ce qu'il indique qui fait réalité pour le sujet qui le pense. Ces étants ne sont pas dans le monde. Ils ne sont pas "vrais", pourrions nous dire allégoriquement. Ainsi, je demandais à mes étudiants de m'indiquer sur la photo d'un paysage où s’arrête la plaine et où commence la montagne... Difficile... La distinction est bien dans le regard et nulle part ailleurs.
La conscience constructiviste nous indique que nous sommes dans l'impossibilité de donner une
existence concrète à cette dite vérité. L'orientation de l'autorité absolue
tombe donc. Celle ci ne serait que la conséquence du débat, un accord
momentané, local et ponctuel, des sujets sur l'objet. Cette conception de la
vérité s'apparente davantage au concept de représentation sociale, une sorte de
conscience collective circonstanciée. Elle ne demande donc qu'à être remise en
cause, à l'instar de la démarche scientifique qui vérifie ses données à l'aune
de l'expérience. On pourrait alors penser que la vérité s'ancre dans la culture, comme un repère, une référence, un horizon, une nécessité conceptuelle.
Débarrassé de cette dimension ô combien
directrice, alors le personnalisme est bien un humanisme : chaque personne est porteuse de toute l'humanité, de toutes ses hypothèses. Ainsi donc, si
l'humanisme est cette "préoccupation" de ce qui est primordial, l'humain, il ne peut
être dépendant d'une volonté extérieure. Voilà donc que ce nouvel humanisme,
conséquent de la pensée des lumières, ouvre la voie à un personnalisme de
même aloi. Je m'en suis saisi pour repenser la question de la laïcité et je m'en suis saisi aussi pour réaffirmer que l'organisation relève du vivant et non de la mécanique ordinaire, celle là même qui a fait socle pour l'approche scientifique du travail.
Publié le mardi 30 juin 2015
* Ibidem (A. Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, 1819)
Lire aussi : "La laïcité, pour quoi faire ?" et " La volonté du vivant "
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