Il me souvient que, gamin, l'un de mes beau-frères amateur de jazz, me
racontait que le guitariste Django Reinhardt avait eu la main gauche brûlée dans l’incendie de sa roulotte et qu'il avait appris à
jouer avec seulement deux doigts de cette main essentielle. On ne
reviendra pas sur l'étonnante qualité de son jeux. Il inventa ce
style brillant et particulier quelque part en échos de ce handicap.
J'appris plus tard que Tony Lommi, le guitariste leader du groupe
Black Sabbath, avait perdu dans un accident de travail le bout de
deux de ses doigts de la main droite sous une presse hydraulique et,
ce gaucher, s'était fabriqué des embouts en plastique et cuir pour
pouvoir jouer. Un peu comme Django, il inventa de ce handicap un
style et un son particulier. Daniel Tortosa, bassiste montalbanais,
avait perdu la souplesse de l’annulaire de sa main gauche dans un
accident domestique. Lui aussi avait développé un jeu remarquable
et remarqué à deux doigts. Ce qu'ils ont fait, parce qu'ils l'on
fait, tout le monde peut le faire, chacune et chacun dans le domaine
qui est le sien. Il suffit pour cela d'une façon de regarder le
monde.
Aucun
ne s'est lamenté sur son handicap et chacun a inventé la solution
qu'il a trouvé, celle qui était la sienne. Disons qu'il sont allés
au devant de la situation, qu'ils l'ont dépassé comme l'on dit.
C'est aussi cela que l'on appelle l'innovation. Elle ne relève
d'aucune doxa, d'aucun processus pré-établit, d'aucune science,
seulement de l'envie et d'une certaine vision du monde.
Quand
nous étions gamins, l'un de mes frères et moi, comme nos parents
n'étaient pas des plus fortunés, fabriquions les jouets dont nous
rêvions au lieu de se lamenter sur des circonstances sur lesquelles
nous n'avions pas la main. Ainsi, cabanes et chariot, fusées et
carabines se succédaient, non sans risques et encombrement, au fond
du jardin. Nous nous battions plus contre nos sœurs aînées qui
« faisaient le ménage » que contre les éléments qui
nous étaient souvent contraires.
A
ce propos la, il y a une maxime dans la philosophie chinoise zen qui
invite à accueillir telles qu'elles sont les situations sur
lesquelles nous n'avons pas la main. C'est la une philosophie
efficace de l’efficience et de l'évitement de la souffrance. Et il
y a ainsi des gens pour qui l'indication zen est ordinaire et
évidente sans même qu'ils aient à y réfléchir. D'autres pour qui
c'est moins évident.
Il
y a une réelle continuité entre les attitudes évoquées en
ouverture et la philosophie zen. Tous ceci nous invite à agir sur le
monde de manière adaptée. « Osez justement ! »
semble nous dire cette sagesse. Il nous faut inventer la vie qui nous
résiste ou nous échappe avec le culot de l'innocent. « C'est
bien parce qu'ils ne savaient pas que c'était impossible qu'ils ont
réussit », disait Antoine de Saint-Exupéry de ses camarades
aviateurs, survivants de situations extrêmes.
Quand
vous allez ou alliez au bal, vous savez qu'il y est plus conséquent
de ne pas attendre qu'on vous aborde, qu'on vienne vous parler. Vous
savez bien qu'il serait plus efficace d'aller vers les gens si non il
est fort probable que la seule personne à qui vous aurez parlé de
la soirée soit le barman. Ceci n'aura d'incidence que sur le volume
de votre consommation et non sur le nombre de danses partagées... et
pourtant vous étiez venu pour ça.
N'attendez
donc pas que l'on fasse pour vous, même s'il existe des gens bien ou
mal intentionnés qui s'y proposent. Abraham Lincoln avait fini l'un
de ses discours devant un parterre de parlementaires, par cette
apostrophe : « Ne faites pas à la place des gens ce
qu'ils peuvent faire eux même. Vous ne les aidez pas ! ».
Et si nous en prenions acte pour nous même ?
Je
crois entendre ces questions : « Comment fait on ?
C'est bien facile de donner des directions si nous n'avons pas le
véhicule pour nous y conduire ». Effectivement... Et le
véhicule existe. C'est ce que l'épistémologue anglais, Dereck
Wordley, enseignant à l'Université Duquesne de Pittsburgh,
Pennsylvanie, appelle le « followership ». Il s'agit
d'une réciproque du leadership. Le mot reste exactement
intraduisible en français. Avant d'être un leader de quoi que ce
soit, l'acteur est une fan-contributeur. Il s'approprie la démarche
et apporte sa contribution au thème : il s'engage en esprit et
en action. C'est ce que fit Martin Luther King de l'approche de
Gandhi et Mandela de celle de Luther King. Ensuite seulement
l'histoire les a accueilli dans un leadership actif et volontaire.
Ainsi,
le bon véhicule pour changer nos postures et réussir nos perspectives est peut être de prendre
un modèle, de l'accueillir en soi et, dans notre esprit, de le
faire revivre là, jusque dans nos actions. A chacun son héros... jusqu'à
ce que nos convictions n'en aient plus besoin. C'est
ce que j'ai gardé de cet échange passionné avec mon beau-frère André et
dont je me rappelle encore comme étant « la leçon de
Django » : faire de ce qui nous gène une opportunité, comme d'autres que l'on sait l'ont fait, parce qu'il n'y a que soi pour le réaliser.
Jean-Marc SAURET
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