Comme
nous disons de manière populaire, pour "être heureux", c'est à dire "être bien dans ses baskets et dans le regard de l’autre", se
sentir pleinement exister, nous avons un besoin irréductible d'une double
autonomie reconnue personnelle et sociale. De quoi s'agit il ?
L’autonomie
personnelle est, comme le relatent chez l'enfant quelques pédopsychiatres,
composée de deux pôles : un pôle d'autonomie privée du corps et de la sexualité
et un pôle d’autonomie, non moins corrélée, de la pensée et des émotions. Ces
champs nous appartiennent et ne sauraient être contraints, ni souffrir l'intrusion
ou la décision d’un autre sous peine de grandes souffrances ou
de déséquilibres importants.
L'autonomie
sociale, indispensable au développement de la personnalité (quelque soit
l'âge) est celle de son espace matériel et physique. Ceci constitue le
troisième pôle d’autonomie. Nous avons aussi un grand besoin d’avoir la main
sur sa gestion et sur la décision de toute action en son sein. Comme
disent les ethnologues, nous passons notre vie à « organiser notre
processus vital » et c’est bien de la gestion de nos espaces et de nos
moyens vitaux dont il s’agit. Si quelqu'un vient s'y servir sans moi, c'est la
guerre.
L'articulation
de ces trois pôles est complexe car ils font système. Ils n'ont aucune
indépendance et sont bien interdépendants. Ce sont bien là trois territoires personnels
et de l'intime. Quand ça ne va pas dans l'un, ça "résonne" dans
l'autre. Souvent, anxiété, manque de prise de décision,
précipitation, colère, sont les symptômes d'une
dissonance quelque part. Ce ne sont en rien des défauts
de caractère "embarqués" dans la personnalité ou propres à
la personne. Rien à voir. Ce ne sont que des réactions à une irritation, comme
peut l’être la rougeur après une agression solaire ou bactériologique. Ici
aussi, le symptôme n'est pas la cause mais l’ordinaire réaction à une cause
tout d'abord incertaine, pas encore identifiée, non cernée.
Seulement
voilà, ces territoires ne sont pas que ceux de l'intime mais bien les mêmes qui
nous unissent dans le champ social. Et là, la théorie des hérissons grelottants
s'applique. Nous avons besoin de nous rapprocher pour que l'être ensemble
"nous réchauffe" et pas trop près non plus pour éviter de nous piquer
les uns les autres, du moins pour ne pas être soi-même piqué... Il nous faut
donc, non seulement être autonomes sur ces champs, mais aussi être reconnus
comme « maîtres et patrons » de nos champs.
Cependant,
il y a dans les rapports sociaux des jeux de rôles et de fonctions qui viennent
transgresser ce principe des hérissons grelottants. Des relations hiérarchiques
induisent de l'appropriation de territoires d'un autre : dès lors, les
territoires apparaissent et se jouent en mode « poupées russes ».
"Mon fils étant sous ma tutelle et responsabilité, son espace intime ou
physique est donc le mien... alors je fouille dans son ordinateur, dans ses
relations amoureuses, rien que pour son bien...". "Mon collaborateur
travaille pour moi, ou pour l'objectif de l'organisation qui en retour le paye
pour ça, donc je contrôle son action, son travail, ses communications, ses
activités pendant le temps de travail, et pourquoi pas en dehors et aussi ses
relations affectives, etc."…
De
plus en plus les collaborateurs réclament reconnaissance et confiance. La
reconnaissance, c’est aussi : « C’est moi et que moi le patron de mes
champs ! » et confiance : « Personne ne décide et
n’intervient sur mes champs ! ». Le temps de l’auto soumission à la
pensée unique de l'entreprise est fini. Reconnaissance et confiance impliquent
la libération des autonomies sur les trois territoires. L'affaire est
inéluctable. Nous y passerons ou ils partiront. Comme les arbres de Rupert
Sheldrake, les piquets des barrières que nous avons mises prendront vie,
pousseront et les emporteront...
Qu'est
ce qui empêche les managers, décideurs et patrons de rendre
l'autonomie aux acteurs (tiens ! Je ne dis plus "collaborateurs"...)
sur les trois territoires du corps, de la pensée émotionnelle et de l'action. Il est sûr que ce ne sont que les rôles sociaux dans
ces hiérarchies organisationnelles et leur commerce relationnel qui induisent
ces immixtions sur les différents territoires. Ce sont alors lesdits "commerces"
relationnels et leurs codes qui sont en jeux, comme nous l'avons aperçu, découvert,
en avons pris conscience, à propos des rapports de genres dans la société
moderne. Si les actes et les rites font symptômes des rapports sociaux,
s’ils les perpétuent et les pérennisent, ils n’en sont pas le fondement. Ce ne
sont pas les symptômes que nous avons à changer mais les systèmes hiérarchiques
de rôles sociaux. Ce sont eux qui induisent les violations de territoires.
Même
si nous nous y prenons assez mal dans la mise en œuvre d'une égalité des
genres, nous avons pris conscience de l'aberration du mode relationnel et de la
perversité des conséquences. Nous avons alors compris la nécessité de
déconstruire la hiérarchie idiote, perverse et inutile. Pourrions-nous le faire
aussi dans les autres rapports de personnes à statut différent ?
Comme l'indiquait récemment le philosophe Michel Serres dans une de ses chroniques radiophoniques : "L'autre est mon pareil. Et même si je m'en distingue, il n'est pas mon différent". C'est
ce que nous pourrions appeler une posture humaniste où tous les gens sont égaux
en droits et en devoir... Mais je crois que ceci a déjà été rédigé quelque
part... Quelque chose qui donne "Article premier : Tous les êtres humains
naissent libres et égaux en dignité et en droit..."
Bon,
eh bien, puisque ça existe déjà, j'ai causé pour rien... Il n'y a plus qu'à...
Jean-Marc SAURET
Jeudi 20 février 2014
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