La fonction leader, adossée à la notion de charisme, a
fait l'objet de nombreuses publications. Elles ont avancé de l'enseignement, de la formation, voire des outils d’entraînements au
leadership. Nous trouvons là des “méthodes” au but de développer des
attitudes efficaces. Regarder “ce qui se passe” dans le
leadership, en observant quelques grands leaders, permet de dégager un
ensemble de spécificités ou caractéristiques sur lesquelles on imagine qu’il nous sera possible
de travailler. Or, à l’usage, cela devient moins évident. Alors, le leadership,
comment ça marche et quelles seraient les réelles voies de progrès ?
Nombre de publications sur le
management dans les entreprises traitent du leadership. Etymologiquement, il
signifie “ être devant ”, occuper la première place. Ceci qualifie
autant un positionnement de l’entreprise sur le marché, le leadership
institutionnel, que le rôle d’un individu dans l’entreprise elle-même : la
fonction leader. Cette fonction soulève la question de savoir pourquoi des
personnes en position légitime de commander ont parfois du mal à entraîner
leurs équipes et comment des personnes institutionnellement non légitimes, ont
ce pouvoir d'influence qui les caractérise comme leaders informels.
Le charisme, dont on affuble habituellement les leaders, semble explicatif de ce phénomène d'autorité dite “ naturelle
”. Elle apparaît pour les uns comme une qualité personnelle innée, comme un don du
ciel, et pour d'autres comme la conséquence de comportements que l'on peut
apprendre à développer (Leadership-qualité versus leadership-activité). Ce
dernier point fait l'objet de quelques pages dans les catalogues de formation des
cadres et dirigeants. Il est aussi le sujet de nombreux ouvrages spécialisés où
leadership et management des personnes ne présentent pas une frontière bien marquée.
La fonction leader convoque et articule différentes
notions comme celle du rôle social dans les rôles de protecteur ou de bouc
émissaire, de porte drapeau ou détenteur du savoir, d'animateur de groupes. La
fonction leader confère au “ chef ” ce pouvoir de diriger “ les têtes
et les cœurs ” pour lequel il est reconnu. Ceci nécessite un perpétuel
ajustement dans ses relations avec le groupe. Leader charismatique et dirigeant
manager ne se superposent pas systématiquement. L'intérêt des seconds est de
devenir, s'ils ne le sont pas, les premiers.
Le leadership se distingue de la
simple application de règles à une situation particulière. Il n'est pas une
chek-list, une procédure exécutable. Il se distingue du management dont il est
occasionnellement le moteur et auquel il participe en lui apportant une vision
globale. Considéré comme la capacité à animer les gens, à les motiver, à les “ séduire ” et à les conduire, il est considéré
comme une cerise sur le gâteau du management.
Alors, pourquoi étudier
le leadership ? Parce qu’il est efficace, qu’il est rare et qu’il est
considéré à priori comme charismatique et “naturel”. Cette dimension un peu
mystérieuse, qui enveloppe le leadership, en a peut-être troublé les
approches : l’étude habituelle du leadership consiste à repérer pourquoi
il est efficace, à distinguer ses différentes modalités, puis à voir comment
les mettre en œuvre.
Plus que de proposer une nouvelle
grille descriptive – elles offrent toutes des avantages certains mais ne
renseignent pas sur le “ comment ça marche ” – il est plus
intéressant de tenter de comprendre la réalité de son système dans une approche
qui prendra en compte la réalité dans laquelle les acteurs impliqués le reconnaissent
et le font exister, ainsi que la réalité émotionnelle qui l’entoure et lui
donne une certaine force. En un mot, nous regardons quelle est sa totale
réalité fonctionnelle pour identifier les variables qui l’animent et sur
lesquelles il est possible d’agir.
Ainsi, à l’aide d’exemples, un
accompagnement cognitif personnalisé procure les moyens de construire son
propre modèle. C’est ce à quoi le coaching cognitif s’attache en la matière.
Les approches descriptives
Il existe de
multiples grilles qui permettent de décrire le leadership et, plus
particulièrement, qui visent à identifier le comportement nécessaire pour
devenir leader. Elles donnent une lisibilité chaque fois particulière mais
toujours éclairante, bien que ces grilles soient circonstanciées et pensées
dans des environnements propres, les observateurs tirant leurs enseignements
des entreprises et des sujets qu’ils ont étudiés.
Les démarches
habituelles que nous avons identifiées usent d’un principe d’ancrage des situations
observées sur des réalités simples de notre vie de tous les jours. Ils tentent
ainsi de trouver différentes valeurs constituant des appuis compréhensibles et
facilement manipulables tant pour qualifier ce qu’est le leadership que pour le
reproduire. Car telle est l’ambition de toute recherche et formation au
leadership : pouvoir l'identifier comme une compétence transmissible et se
l’approprier. Ainsi, on peut distinguer trois types de grilles d'observation
propres aux différentes approches : des grilles de rôles, d’actions ou
axiologiques.
La démarche la plus répandue
consiste à qualifier un certain nombre de modèles de personnages, sortes de
caricatures facilement identifiables. Ce sont celles que l’on peut appeler des
grilles de rôles. Ainsi, Patricia PITCHER décrit dans son étude[1] les
capacités d’artiste, d’artisan et de technocrate du leader-manager en leur
reconnaissant une efficacité inégale. Robert DILT et Gino BINISSONE[2] identifient
le rêveur, le réaliste, le critique, la meilleure efficacité étant à l’actif du
réaliste.
De son côté, Rensis LIKERT, sur un mode plus pragmatique, se
rapproche davantage de l’action en proposant une catégorisation autoritaire
exploiteur, autoritaire paternaliste, consultatif, participatif[3]. Sa
classification est déjà en rapport avec les structures dans lesquelles les
leaders évoluent. R.R. BLAKE et
J.S. MOUTON ont établi une
grille plus complexe à cinq pôles[4] :
l’anémique, le social, l’autocrate, l’intermédiaire, l’intégrateur. On peut
s’apercevoir que dans cette grille il ne s’agit plus de catégoriser les leaders
mais d’identifier lesquels des managers peuvent prétendre à être des leaders.
Ainsi, P. HERSEY et K. BLANCHARD définissent des styles pour des
cibles comme les attitudes les plus appropriées à ces situations[5]. Ce
sont là des approches de réponses directes à des problèmes de gestion humaine
particuliers. Cette grille en quatre cas propose d’adopter un comportement
directif devant une population qu’ils qualifient de peu mature. C’est-à-dire
que ces acteurs-là n’ont ni maîtrise des enjeux de l’entreprise, ni de
compétence réelle et précise à offrir pour y répondre, et n’ont plus la
motivation suffisante pour agir par eux-mêmes. Ils proposent en second une
attitude de motivation pour un public à maturité moyenne / faible, soit ayant
peu de maîtrise mais une motivation forte. En troisième cas ils proposent un
comportement participatif pour une cible à maturité moyenne / élevée,
c’est-à-dire ayant une connaissance des exigences et une certaine maîtrise des
compétences mais possédant peu de motivation. Ils proposent dans un quatrième
cas d’opter pour une politique délégataire en direction des cibles à maturité
haute, c’est-à-dire présentant un engagement total des acteurs.
Il s'agit effectivement là plus
des règles d’aide au management que d’une analyse du leadership. Quoique ayant
une portée pratique certaine, ces prescriptions souvent trop courtes ne
permettent en aucun cas ni d’identifier ce qu’est la nature du leadership ni de
trouver des leviers pour l’actionner. Elles participent même à banaliser un
phénomène sur lequel, il est vrai, la raison a peu de prise.
Une deuxième catégorie
d’approche propose un certain nombre d’actions indispensables qui favorisent le
leadership. Ce sont ce que nous appellerons des grilles d’actions. En la
matière, ce sont de grands ténors du management, ayant un véritable statut de
gourous, qui ont fait les propositions les plus remarquées. Ainsi, Henry MINTZBERG propose trois actions
majeures qu’il décline et commente [6] :
communiquer, décider, accompagner, que l’on peut aussi traduire par
“ contacter, décider, informer ” (Nous retrouverons ces différents
thèmes, peut être déclinés de manière un peu différente, dans notre deuxième
partie).
De son côté, Warren BENNIS propose de comprendre
l’attitude globale de leader dans le concept d’architecte social dont la
quadruple préoccupation consiste à gérer un certain niveau d’attention autour
de lui, à gérer le sens perçu des actions qu’il mène, des événements qui
l’entourent et des objets qui sont manipulés[7]. Cela
consiste aussi à gérer la confiance, tant celle qu’il porte que celle qu’il
provoque, et qu’on accorde à lui-même, et aux différents acteurs, qu’ils soient
partenaires ou concurrents de son projet. En dernier lieu, il convient à cet
architecte de gérer soi-même, c’est-à-dire tant son positionnement social et
hiérarchique que l’écart de l’image qu’il donne avec celle qu’il se doit de
donner. Nous sommes là en présence d’un programme complexe qui tente de
s’appuyer sur ce que BENNIS comprend
des caractéristiques fondamentales du leader. Pour lui, en effet, il ne s’agit
plus de bricoler une attitude favorable mais de réellement apprendre à être
leader. Il croit à cette possibilité et il la professe.
John ADAIR approche le leader-manager selon le principe
d’un “enseignement orienté action”[8].
Cette attitude consiste à planifier, préparer, contrôler, encourager, informer,
évaluer tant ses collaborateurs que son propre projet. Cette démarche offre
l’avantage d’incorporer clairement et donc très salutairement le leadership à
l’action d’accompagnement des collaborateurs. C’est là une association de
concepts qui ramène le manager à ses réelles obligations, nécessités et préoccupations.
Se rapprochant
encore davantage de la réalité fonctionnelle du leadership, certains
chercheurs, même très anciens, ont travaillé à reconnaître non seulement les
qualités humaines nécessaires au leader mais les caractéristiques qui ont
permis de l’amener à ce statut. Déterminant des axes favorables à l’établissement
du leadership, ils ont établi ce que nous appellerons des grilles axiologiques.
Max WEBER[9] est
connu et reconnu pour son triptyque du pouvoir : charisme, légitimité,
rationalité. Il donne précisément à voir qu’il existe des critères de la
personnalité, des critères sociaux ainsi que des critères de pure logique. Le
premier est lié au passé et à la structure (la légitimité), un autre au présent
et à la personnalité (le charisme), le troisième se projette dans l’avenir,
c’est le prospectif contrat (la rationalité).
Ce qu’avait
introduit Max WEBER, cette notion
d’un être dépendant du social, de l’environnement et du temps, a quelque peu
été oublié par nombre de ses successeurs sur ce sujet. Ce fut le cas de Charles
HANDY[10] dont
les critères axiologiques restent polarisés sur les compétences de
l’individu : intelligence, initiative, assurance personnelle. Au-delà de
cette remarque, son apport est fondamental : il affirme ainsi un principe
de consistance qui est indispensable au leader, et il en donne le fondement
nécessaire : la conviction. Il pose aussi ce trait de caractère
d’intelligence, tout aussi indispensable, et qui consiste, entre autres, mais
particulièrement, à intégrer les perspectives et les savoirs de ses
collaborateurs.
Au-delà de ces grilles utiles,
un certain nombre de contributions ont apporté des points de vue qui ont
participé à étayer et préciser la dimension, la portée et l’identité du leader.
Reprenant les idées de Max WEBER,
M. BASS appelle les candidats au
leadership à interpeller les acteurs au niveau de leurs émotions[11].
Cette dimension, apparemment si éloignée de la raison, lui est en fait
étroitement liée, peut être comme un appui, parfois comme une contrainte. Il en
appelle au charisme, mais aussi à la reconnaissance individuelle de chacun de
ses partenaires, et à l’émulation intellectuelle.
Si les deux premières
propositions évoquent effectivement de manière directe la nécessité de
considérer la part affective qu’investissent les gens dans les rapports en
groupe, il pose dans la troisième la responsabilité de la formation que portent
les leaders. Il pose en effet et par extension, que le leader est responsable
des moyens à mettre en œuvre pour atteindre les buts de l’organisation. Mais
justement, quelle est la portée des buts, des objectifs ou des enjeux dans la
qualification du leader ?
M. BASS affirme que ce ne sont pas les traits particuliers
du candidat au leadership qui le portent, mais le fait que la configuration de
ses spécificités personnelles (son caractère et ses compétences) sont en accord
avec les besoins, les attentes, les spécificités personnelles et les projets
des personnes qui le portent dans la position de leader. Ce n’est donc pas par
sa seule volonté, ni par ses propres compétences que le leader arrive, mais par
son adéquation personnelle et celle des projets qu’il endosse avec les espérances de son public. Le leader est donc
comme aspiré par le groupe. Cette donnée est fondamentale.
G. HOMANS, après
avoir observé les comportements de relations de travail, reprend les
conclusions de l’ethnologue MAUS sur le rôle des dons et du retour des dons qu’il appelle
“ contre-dons ” : on domine en acceptant de partager. En effet,
le dirigeant à l’écoute prend l’ascendant sur les collaborateurs auxquels il
prête son attention. P.M. BLAU reprend
aussi cette notion de l’usage du don et du contre don affirmant que celui,
dans l’entreprise, qui donne ou rend service prend un ascendant sur ceux qui
sont, de ce fait, devenus ses créanciers.
Mais ce n'est pas tout. On peut vraiment aller plus loin, développer une réelle capacité de leader, travailler cette posture particulière, optimiser son action et son ancrage. Pour cela, on poursuivra la lecture dans l'ouvrage "Le management Post-Moderne. Comprendre concevoir communiquer" chez L'Harmattan, au chapitre dédié. Tout y est. Bonne lecture.
Mais ce n'est pas tout. On peut vraiment aller plus loin, développer une réelle capacité de leader, travailler cette posture particulière, optimiser son action et son ancrage. Pour cela, on poursuivra la lecture dans l'ouvrage "Le management Post-Moderne. Comprendre concevoir communiquer" chez L'Harmattan, au chapitre dédié. Tout y est. Bonne lecture.
Jean-Marc SAURET
Mis en ligne le vendredi 27 décembre 2013
(in "Le management Post-Moderne", Jean-Marc SAURET, Coll. Dynamiques d'entreprises, L'Harmattan, Paris 2003)
(in "Le management Post-Moderne", Jean-Marc SAURET, Coll. Dynamiques d'entreprises, L'Harmattan, Paris 2003)
[1]
Pitcher Patricia, Artistes,
artisans et technocrates : l'élite qu'on mérite? préf. Henry Mintzberg,
Village mondial, 1996
[3]
Likert Rensis, New
Patern of Management (Le gouvernement participatif de l’entreprise,
Gauthier-Villars 1961)
[4] R.R.
Blake & J.S.Mouton, The
New Managerial Gird, Gulf Publishing , 1978.
[5] P.Hersey
& K.H.Blanchard, Management
of Organisational Behavior, Prentice Hall, 1982.
[6] Henry Mintzberg, John P. Kotter, Abraham
Zaleznik et al. préf. Franck Riboud,
Le
leadership, publ. L'Expansion Management Review, Ed. d'Organisation,
2000
[7] BENNIS W., Profession : leader
(On
Becoming a Leader, 1989), InterEditions, 1989
[9]
Weber M., Types d’autorité, in
A.Lévy, Psychologie sociale, Dunod, 1972
[10] Handy Charles, L’Olympe des managers : culture d’entreprise
et organisation (Gods of Management) Ed de l’Organisation 1986
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