L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

Pourquoi refoulons-nous les migrants ?

(Prolégomènes : Au dela de toute considération strictement économique et d'intérêt matériels et privés, l'angle de vue de cette réflexion est sociologique, soit représentationnelle, identitaire et de lien social)

Toute société s'organise sur la base de groupes d'appartenance (famille, tribu) et sur la gestion de leurs relations interpersonnelles et inter-groupales sur des territoires définis, voire même dédiés. L'intégration à tel ou tel groupe nécessite un rituel de passage qui a vocation à l'introduire dans le groupe. L’ethnologue Arnold Van Gennep en a fait une célèbre description à étapes qui se vérifie bien souvent. Il s'agit d'un processus en trois temps. Le premier est un temps préliminaire au cours duquel l'impétrant est remarqué et marqué comme extérieur au groupe, différent de ses membres et identifié en quoi il l'est. Cette distinction, qui est une reconnaissance en creux, apparaît nécessaire pour que le rite de passage ait lieu. 
S'ensuit alors un temps "sur le seuil", dit liminaire, un "moment" ou l'impétrant est présenté, voire testé, subissant parfois des épreuves qui vont l'initier au temps d'après. Symboliquement, ces épreuves vont à la fois lui indiquer d'où il vient (le temps d'avant) et ce qu'il devra être le temps d'après. Il y testera, ainsi, les éléments de la nouvelle culture concernant notemment le rapport au nouvel espace, au nouveau groupe et au nouveau temps que l'on attend de lui. Il lui est alors indiqué la place qui est la sienne et qu'il occupe temporairement sur le seuil, une place sociale "de passage" (d'où le nom de rites de passages). Il percevra alors clairement la nouvelle place à laquelle il aura droit dans la nouvelle organisation, celle qu'il "vivra" dans le nouveau groupe. Il y acceptera et fera sienne une certaine vision cosmogonique laquelle régit le sens de l'ensemble de ce corps social nouveau pour lui. Cette vision cosmogonique donne le sens de lui-même, de l'espace, de la territorialité, du temps et des causalités. Alors seulement, le troisième temps est accessible, celui de l'intégration, du post-liminaire. C'est là tout un processus rituélique qui concerne et engage autant la personne intégrée que le groupe intégrateur.
Tout rite de passage, comme ceux organisant socialement la naissance, le passage à l’âge adulte, l'intégration professionnelle, le mariage, la parentalité et la mort, ont ces trois temps. Ils ont, comme nous l'avons vu, une raison de sens au cœur d'une dynamique d'intégration par le sens. Ils sont un temps construit d'information, d’identification, d'enseignement et d'accueil. Notre civilisation technocratique perd, assurément, le sens des rituels et nombre de passages ne se font plus. La collectivité en récolte des vides de sens où s’installent des chaos organisationnels.
Le service militaire constituait pour les jeunes hommes du siècle dernier un rite de passage à l’âge à adulte. Son acceptation se révélait dans un rite préliminaire : la tournée des conscrits. De retour de son service militaire, le jeune homme était considéré comme un adulte et traité comme tel. Le jeune homme qui y avait échappé n'était donc pas considéré comme adulte et se trouvait de fait dans une grande difficulté à trouver mariage.
Quand un jeune homme ou une jeune fille se mariait, un premier temps d'acculturation (d'information) lui était donné par le parent de son genre. Ensuite un rite préliminaire consistait à enterrer avec ses amis, sa vie de jeune fille ou de jeune homme. Ceci fait, le rite liminaire de mariage pouvait avoir lieu, créant de nouveaux liens entre les époux mais aussi entre les parties prenantes. Ce lien était indéfectible, le mariage étant un lien sociétal. L'amour pouvait se dérouler ailleurs et le théâtre de boulevard des Labiche et autres Feydeau l'ont bien décrit, raconté et moqué même.
Alors seulement l'intégration dans la vie sociale devenait possible. Dans certaines cultures (je pense à la Rome du vingtième siècle), la mère, patronne du "domanial", traçait au sol le contour de la pièce nouvelle à construire pour accueillir les nouveaux époux. Dans d'autres cultures, seulement après le mariage, le mari pouvait s'installer de manière autonome dans son métier, etc. Ces rites de passages sont des phases de réelle déconstruction et reconstruction avec une double incidence d'assimilation et de réaffirmation de soi.

Nous voyons que, dans notre société en perte de sens, de rites et de rituels, nous sommes incapables d'accueillir les migrants, faute d'un rituel qui les reconnaîtrait préliminairement comme étrangers (et préciserait en quoi ils le sont) puis liminairement pourrait les faire passer d'étrangers à intégrés, en posant les valeurs, les totems et les tabous de la collectivité qui les intègre, puis un temps post-liminaire qui les reconnaîtrait comme partie prenante du collectif et les installerait en son sein. Cela parait long, complexe, mais si simple et si nécessaire quand ce rite existe.
Le premier "défaut" (au vrais sens du terme) de notre système social actuel est que nous ne savons pas sur quelles bases les reconnaître préliminairement comme étrangers car nous ne savons plus nous-même qui nous sommes, quelles sont nos valeurs, nos invariants, nos éléments de liens d'appartenance. Nos totems et nos tabous ont soit disparu, soit ils ont muté en invariants personnels. Ainsi, sommes-nous devenus incapables de les intégrer puisque nous ne savons plus à quoi, ni à quelles valeurs les associer. Cela remonte au temps où nous avons perdu les éléments qui font que "nous sommes nous". Le temps post liminaire, dans ces conditions, s'avère donc totalement irréalisable.
Mais ces étrangers, faute de la consistance de nos "être ensemble", entrent dans nos espaces comme dans des terres vierges. En l'absence de transmission, de partage de valeurs et d'éléments de lien social (totems et tabous), ils reproduisent les leurs propres et anciens. Ils donc sont dans l'incapacité de s'intégrer à un corps social vide de repères ou valeurs.
De notre côté, leur arrivée, en miroir, provoque une sensation de vide de notre propre corps social, privé tant de valeurs particulières que des rites de reconnaissance qui y sont liés. Elle nous renvoie à notre propre vacuité et cela nous devient inacceptable... Donc nous rejetons ces "envahisseur", lesquels sont, en fait, des "envahisseurs de rien", dans la mesure où nous n'avons rien à leur offrir : rien pour nous relier, rien pour faire corps social... C'est ceci qui nous est le plus inacceptable, le plus insupportable. J'y reviendrai dans un prochain article.
C'est donc cette perte identitaire dont témoigne la disparition de nos rites de passage, de reconnaissance et d'appartenance. Celle là même qui génère cette peur de l'étranger. Nous voilà donc, en conséquence, dans la totale incapacité à les intégrer. Mais, au fait, de les intégrer à qui ? De les intégrer dans quoi ?... Il y a donc véritablement urgence à retrouver ou à reconstruire ces liens sociaux, ces valeurs groupales que nous avons perdues. Nos banlieues sont quelque fois et quelque part "exemplaires" en cela. Par nécessité, elles ont, dans certains groupes sociaux, développé des rites de reconnaissance, d'appartenance et de passage, tels les "shakes", les postures, les langages, les pratiques vestimentaires, les bizutages, etc.
Nous avons des valeurs républicaines (Liberté, Egalité et Fraternité) que nous ne pratiquons plus socialement et on peut réellement le regretter. Elles n’ont plus aucune existence véritablement concrète. Nous avons pourtant à disposition de nouvelles institutions où nous pouvons développer du lien social et de la réalisation de soi : les entreprises et les organisations. Nous y disposons, "tout prêt à l’usage", des rites d'intégration autour de processus d’embauche. Nous n'utilisons pas (ou plus) ces nombreux symboles et rites de reconnaissance "désoccupés" par la République et largement installés par les communautés. On peut les rappeler : ce sont le port de la barbe, des mots de salutation, le port de signes religieux, de voiles ethniques, de kippa, de pin’s à la boutonnière, etc... Nous avons une large réflexion à conduire autour de cela, non seulement pour tous ceux qui frappent à nos portes mais aussi et peut être surtout, pour nous même. La balle n'a jamais été autant dans notre camp. Ferons nous ce que nous avons à faire ?...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 3 janvier 2017




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