La semaine dernière nous avons regardé la nature et l'impact sur nos organisations des logiques d’intérêts personnels versus celle des intérêts collectifs. Nous avons observé comment les stratégies de conquêtes se démarquent des stratégies de progrès et l'impact que celles-ci ont sur la vie de nos structures. Cette semaine nous regardons comment nos représentations collectives des organisations impacte aussi leurs dynamiques : organisations mécaniques ou organiques ?
7 - Culture mécaniste (néo-taylorisme) versus
culture organique (systémie globale)
La façon dont nous considérons
les acteurs et le système détermine le rôle et le type d’actions que nous
allons leur confier. Nous irons effectivement plus loin que les propositions de Michel Crozier et Erhard Friedberg en 1977.
Ici deux logiques s’opposent.
D’une part, certains considèrent l’organisation comme une grande mécanique dont on
tente d’en comprendre les rouages, les lois et les principes, et d’autre part, d’autres
observateurs considèrent l’organisation comme un système vivant avec des
rapports d’enjeux, d’intérêts et de représentations, d’alliances et de
stratégies, dont on tentera de comprendre l’intelligence, les constructions et
les interactions. C’est ici un système complexe non linéaire, difficile à
appréhender au premier coup d’œil.
Il se trouve que la
fainéantise humaine fait toujours choisir le système le plus simple et nos
obsessions du résultat nous invitent à forcer la nature à s’y soumettre en cas
de résistances. Le modèle ne se trompe jamais. Si la nature ne rentre pas dans
le modèle, c’est elle qui se trompe…
Peut-être donnons-nous là
l’impression de nous moquer et de prendre la problématique quelque peu à la
légère, mais il n’en est rien. C’est bien là une réaction cognitive ordinaire
qu’ont bien repéré les tenants de la théorie des représentations sociales (cf.
D. Jodelet, les représentations sociales,
PUF, 1993). Le psychosociologue Serge Moscovici avait bien énoncé que
« les lois de la nature sont celles que la culture lui trouve ». En
effet, les démarches cognitives relèvent plus de la croyance et de la
symbolique que de la démonstration scientifique. Dont acte.
Ainsi donc, nous ne
trouverons pas de démonstration rationnelle à la prévalence d’une culture sur
une autre, d’une représentation sociale sur une autre. Arthur Schopenhauer
indiquait déjà en 1818 que « la réalité n’est qu’un objet pour un sujet
qui le regarde. Si le sujet s’en va, l’objet disparait » (Le monde comme volonté et comme
représentation, Brockhaus, Leipzig,
1819). Ce sont là les premiers
éléments du constructivisme.
Oui, effectivement, mais
cette approche ne nous fait pas choisir entre l’intérêt d’une approche
mécaniste et celui d’une approche organique. Pourtant, chacune de ces deux
approches détermine un regard singulier sur le monde et les organisations, et
donc une décision sur l’action à conduire. Il s’agit donc d’un choix de
principe.
Il est vrai que l’approche
mécaniste est plus simple à « manipuler ». Elle use du chiffre comme
d’un étalon du réel. Tout ce qui se mesure existe et l’observateur a l’illusion
de savoir mesurer l’impact de cette réalité sur d’autres. Souvent, il ne mesure
que les chiffres qui se croisent, pas les corrélations. Il me souvient de ce
que disait une ancienne collaboratrice, médecin du travail, « les
chiffrent disent tout ce que l’on veut sous la torture ».
Lacan dirait de cette
approche mécaniste qu’elle tue le sujet pour mieux le cerner. C’est bien de
cela qu’il s’agit dans l’approche mécaniste du monde. Il s’agit d’une
représentation d’un monde mort, d’un monde d’objets inertes dont la masse
interfère sur les équilibres. L’organisation relève du château de carte, du jeu
de mécano ou du moteur à explosion. Chaque pièce a une fonction et nécessite
d’être ajustée. Si l’ensemble ne fonctionne pas c’est qu’un élément du puzzle
ne joue pas sa fonction, qu’il est défaillant, donc qu’il a un défaut en regard
de sa fiche technique ou qu’il n’est pas ajusté. Il suffit de réparer ou de
changer la pièce et l’ensemble redémarre.
Dans une organisation
mécaniste, on change donc les gens et les procédures dès que quelque chose
dysfonctionne. C’est là la raison de restructurations et licenciements massifs.
Si l’on souhaite gérer à l’économie, réduire les coûts, on réduit donc le
nombre de procédures et d’acteurs, et ça devrait marcher. Si ce n’est pas le
cas, c’est qu’il faut ajuster les pièces et les procédures.
Ce que l’on constate dans la
vie des organisations et qui fait peur à nombre de dirigeants tayloriens est
que les gens pensent, réfléchissent, choisissent, ont peur ou envie, aiment ou
craignent, comprennent et agissent surtout en fonction de ces variables-là. Les
gens travaillent, bougent et construisent en fonction de ce qu’ils comprennent,
pas en fonction d’ordres et contre-ordres. Les managers se posent alors la
question de la motivation : « Qu’est ce qui ferait qu’ils agissent
tous dans le sens attendu ? ». C’est là un espoir de mécanicien, pas
de manager.
Ainsi, si chaque acteur vit
dans l’organisation en fonction de ce qu’il en comprend au regard de ses
enjeux, désir, peurs et intérêts, l’organisation est donc bien un système
vivant. Il sera donc plus utile de la considérer comme un système organique.
Mais ce système est plus complexe que le système mécanique.
Si les pièces du puzzle
pensent et vivent de manière autonome, leurs décisions sont des leviers
pertinents à l’action. Il ne s’agira donc plus d’agir « sur les
pièces » mais d’agir « par les gens ». Certains managers (et
écoles de management), comme nous l’avons évoqué plus haut, font la distinction
entre le « pouvoir sur » les gens et le « pouvoir pour »
l’œuvre, l’objectif. Si dans l’approche mécaniste le moyen d’action est
l’outil, la clé de douze, le marteau ou le tournevis, dans l’approche organique
le moyen d’action est la conversation, avec toutes les qualités relationnelles
d’écoute active, d’empathie et de compréhension. On comprend pourquoi les
managers tayloriens viennent en formation chercher des « outils »
quand les managers humanistes viennent chercher à comprendre la dynamique
collective.
Dans l’approche organique,
nous sommes face à une organisation offrant une multitude d’intelligences en
synergie ou pas, un multiple énorme de corrélations interactives possibles. La
préoccupation est donc de savoir comment y développer la meilleure intelligence
collective. Manager est donc à quatre-vingt-dix-huit pour cent une question de
communication, d’intelligence relationnelle. On ne laisse pas les émotions dans
le vestiaire, au mieux les opinions.
Il y a juste quelques
éléments à connaitre :
Le premier est qu’on ne dirige pas contre ou sans les représentations
des acteurs.
Le second est que les gens ne sont pas « à motiver » car ils
sont tous venu ce matin au travail : ils ont donc tous et chacun la
motivation de le faire. Il faudra juste passer par celle de chacun. On ne
motive pas les gens, on capte leurs motivations.
Le troisième est que la connaissance se multiplie quand on la partage.
Mieux vaut agir avec toutes les intelligences qu’avec seulement la sienne
propre.
Le quatrième est que la décision se prend toujours au plus près du
terrain, là où la question se pose. C’est une question de justesse et de
réactivité.
Le cinquième est que plus un corps est grand, plus il est lent. Ce que le
jeu des concurrences nous impose est la réactivité. Il ne s’agit pas d’éclater
l’organisation mais d’autonomiser au maximum tous les éléments de
l’organisation, jusqu'à chaque acteur si besoin et si possible. L’efficience
d’une organisation repose sur le développement de l’autonomie fertile de ses
acteurs.
Le sixième est que l’autonomie n’est pas l’indépendance. Tous les
acteurs ont besoin de se connaitre, de communiquer, de savoir qui fait quoi,
comment il le fait et pourquoi, de manière à savoir s’articuler et prévenir.
Le septième est que tout système repose sur une volonté de vivre :
le portage haut et fort de tous ces principes de l’organisation par son leader
garantie la raison d’être de l’ensemble et de chacun.
Il me revient alors l’approche
que l’on nomme biomimétique. Le vivant présente des organisations et des
systèmes qui peuvent nous servir de modèle. Nous connaissons les parangons de
la ruche et de la fourmilière. Mais connaissons-nous ceux des bancs de poissons
qui virent tous ensemble dans un temps instantané ? Connaissons-nous celui du vol des oiseaux migrateurs ? Que savons-nous des écosystèmes dans lesquels
les chimpanzés et les gorilles trouvent leurs médicaments ? La nature par ailleurs produit bien mieux et
bien plus que tout ce que nous savons faire et ce sans aucun déchet. Ne lisons-nous pas seulement ce que nous savons déjà ? Nous
voyons là la porte s’entrouvrir sur des hypothèses de progrès technologiques
considérables.
à suivre : Management 6 - Dynamique des systèmes humains et logique du vivant
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 16 février 2016
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