Je
reprends une foi de plus l'extrait d'un interview de l'ancien
capitaine exemplaire de l'équipe de France de rugby, Jean-Pierre
RIVES, dit "Casque d'or", par Philippe LABROT, alors patron
d'une grande radio. Le fait est tout à fait significatif. A
l'assertion de l'interviewer : "Vous avez apporté des
techniques déterminantes à cette équipe de France de rugby !".
Jean-Pierre Rives répondit de sa voix laconique : "Les
techniques ne valent que par les gens qui les portent". La messe
était dite : les techniques ne sont rien sans ce que sont les gents.
L'erreur est de penser que si la technique ne marche pas, ce serait
par défaut ou manque de rigueur d'application. En fait, tout est
dans la posture, pas dans la technique ou les procédures...
Dans
un article précédant ("Le bonheur est la nouvelle religion totalitaire"), je faisais remarquer que notre culture de
l'ultra consommation nous posaient en "enfants gâtés centres
du monde", et que jamais n'était utile de se remettre en cause, car la
solution à l'efficacité résidait dans la possession du
bel objet, du bon outil, de la bonne procédure, de la bonne
technique. Ce serait ça qui ferait l'efficience ? Cette pensée là
nous semble bien courte...
J'ai
pris un grand plaisir à pratiquer les sports de courses de fond, de rugby et de la boxe pieds poings. Nous nous entraînions beaucoup
et assidûment mais nous savions tous que la victoire était
dans le mental, dans la force de caractère, que
les techniques était complémentaires, facilitantes mais
pas plus. Quelques mauvaises pensées auraient fait dire qu'il s'agit
là de sports sans techniques, de sports de combats pas très malins.
Laissons à leurs auteurs cette pensée courte, pour moi sans intérêt, et juste
rappeler l'assertion constructiviste : "On ne voit que ce que
l'on a déjà dans le regard".
Il
me souvient de quelques joueurs forts d'un mental d'acier et doués
de techniques assez rudimentaires. Ils gagnaient. Il me souvient
aussi de cet élève que j'eu en boxe française savate, longiligne
et bel athlète à la souplesse remarquable, à la
précision experte du geste mais que j'amenais régulièrement dans
les cordes, le poussant à réagir : il n'étais pas "un
combattant", il n'avait pas "la niaque", disions
nous. Je dirais aujourd'hui qu'il n'avait pas la posture du
vainqueur, juste celle d'un élève appliqué. Il ne se voyait pas
sur le podium, la médaille ou la ceinture au bout du bras. Sans la
posture, les techniques ne valent rien ! Sans la posture, les
procédures sont des ralentisseurs.
C'est
comme si l'on mettait dans ce qui n'est pas nous, à l'extérieur,
les conditions de ce que nous sommes, les éléments de notre valeur, de notre
triomphe...
Pourquoi
? Parce que nous n'existons que du regard de l'autre, cet
extraordinaire miroir de tout !... Mais nous avons un peu
tout mélangé, je crois. Et si nous mettions un peut d'ordre
dans notre regard ? C'est là que se trouvent la solution,
les ingrédients de victoire et de succès, mais aussi
ceux de l'échec et de la souffrance. Revisiter son regard sur
soi et le monde refonde sa propre posture.
Travailler
son regard pour développer la posture idoine, voilà le travail que
nous avons tous à faire chaque jour. Le coach, comme l'ingénieur ou
le manager, le client comme celui qui répugne à consommer,
l'ajusteur et le juge, la victime et l'agresseur, et même si chacun
ne se reconnais pas dans ces rôles : ils sont tous d'abord dans le
regard de l'autre. C'est juste la place qu'on nous octroie. Devons nous forcément nous y réduire ?
Mais
quel est donc ce regard qui nous serait tant salutaire ? La culture
consumériste, celle qui inonde nos petits écrans avant,
pendant et après le film, avant pendant et après nos
émissions quelles qu'elles soient, avant et après les
informations (tiens, là, il y a du sursis...), nous indique que nous
sommes "trop stupides" pour faire et que l'appropriation de
tel objet, tel produit, tel service suffit à résoudre le problème
d'atteindre le bonheur... et le bonheur c'est réduire les
résistances du monde (la douleur, l'échec, le
manque, l’inaccessibilité à telle ou telle chose,
etc.).
Cette
culture entre dans nos têtes via les petites parabole publicitaires.
Ainsi, désormais, un coureur cycliste qui accompli
des performances fortes, supérieures à la moyenne est donc
forcément dopé, puisque c'est le produit qui fait tout,
pas le travail sur soi. En effet, il devient logique de
chercher le dopage pour atteindre des performances, pas l'exercice développant le travail sur soi. Ainsi s'installe dans nos cultures
autour du cyclisme et du sport en général que le souci est d'abord
de se doper sans se faire prendre. Vive la consommation, l'humain est
si ridicule... Horreur ! Insulte ! Je m'insurge.
Ainsi,
progresser (en quoi que ce soit, vers le bonheur ou la performance)
consiste à changer de béquilles. Ainsi, cette culture idiote
renforce l'idée que c'est le monde qu'il faut refaire pour qu'il
corresponde à nos attentes, à nos désirs. Nous voici ramené à ce
que sont les enfants de cinq ans selon ce qu'en disait Freud.
Regardons
nous dans le succès, dans la réalisation de ce qui est important,
regardons ce qui fait le monde, comment nous y sommes inscrits,
dépendants, interagissants. Rêvons nous en action avec
les autres, surfant les contraintes, esquivant les coups, faisant de
chaque raté une opportunité supplémentaire et nous
reprendrons la route du progrès, voire de la joie. Tiens, nous
revoici en train d'agir notre vie dans le nœud de nature
qui est le notre. La question n'est plus "Qu'est ce qui me
manque ," mais plutôt "Qu'est ce que j'en fais ?".
Ainsi, disons nous, tout est dans la posture.
Certains collègues me décrivent même comme "posturologue" et je ne
renie pas l'assertion. On peut avoir toutes les techniques les meilleures, si
nous n'avons pas la posture, il peut se produire le pire. Il en va pour le
coaching, pour la médiation, pour le management, pour l'accompagnement, pour
l'éducation et la formation, pour le développement technique et de projets,
etc. Il en va pour toute profession et action. On peut même en déduire que les
corps professionnels, à l'instar des ordres qui les représentent et les
régulent, les moralisent ou en marquent l'éthique professionnelle, ont la
responsabilité de garantir les postures et pas les professions. Comme me
l'indiquait un manager aguerri : "Professionnaliser les fonctions de
médiateurs, de conseiller ou autres, revient à dire que tout le monde ne peut pas le faire,
alors que ce ne sont pas les processus qui font l'efficience mais la posture
humaine en face du demandeur, du récipiendaire, du bénéficiaire".
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 4 août 2015
Publié le mardi 4 août 2015
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