Voici
en quelques lignes, le compte rendu d'une longue conversation que je
viens d'avoir avec un ancien comparse alors gérant d'entreprise,
aujourd'hui consultant en stratégie de gestion des
entreprises. Le point de départ était une divergence dans nos
discours respectifs sur le point focal de nos actions de conseil :
que visions nous ? Nous étions d'accord sur le fait que nos
interventions devaient apporter une plus-value pour la croissance de
nos entreprises clientes. Mais la nature de nos apports nous
séparait. Il me disait prôner un pragmatisme gestionnaire et je
proposais mon habituel humanisme méthodologique.
"Toi,
qui a été durant treize années gérant d'entreprise, dont le
profil de redresseur de merdiers collait à la peau, comment peux tu
aujourd'hui rejeter le chiffre, comme tu dis, la saine gestion et son
suivi au prétendu prima des relations humaines ?" Je lui fis
remarquer tout d'abord que ce n'était pas exactement cela que je
mettais en exergue, mais plutôt les atouts de la qualité
humaine et de la force du vivant dans une société qui avait changé
sur ses valeurs de compétences, d'autorités et de pouvoirs.
"Tu
ne peux pas affirmer, insistait-il, l'obsolescence de la gestion, de
la rigueur et de la précision des chiffres, pas plus que l'art de
projeter des objectifs, une bonne gestion et la rigueur du suivi ! Tu serais hors sol..."
En effet, je confirmais que l'entreprise devait croître,
et produire des bénéfices, qu'un bilan négatif était
désastreux, que tous ces indicateurs et outils qu'il invoquait
étaient bien sûr indispensables. Nous passâmes un moment à
s'accorder sur l'importance d'un bon compte de résultat, d'un bon
bilan, le sens de chacune de leurs lignes que nous connaissions bien
et qui avaient longtemps été, pour l'un comme pour l'autre,
l'outil principal de nos bonnes gestions et de nos succès
respectifs.
"Alors
tu reconnais que le chiffre est l'objectif !" me lança-t-il.
Pas tout à fait... Si la finalité est la croissance et le
développement de la production, des actifs de l'organisation,
l'objectif est de construire un management qui nous y conduise... Il en
convint. Bien sûr que j’œuvrais pour le
bon développement productif de mes enseignes clientes. Bien sûr
que la qualité de leurs comptes de résultat et de leurs bilans
était la raison d'être de mes interventions. Bien sûr qu'in fine
c'est bien cela qu'attendaient mes prescripteurs et clients de mes
conseils. Bien sûr aussi que le temps presse pour tout le monde et
qu'il n'y a aucun temps à perdre avec des considérations
moralisantes ou idéelles. Oui, je partage cette finalité et je
pense l'organisation et mon métier d'un angle des plus pragmatiques
que mon passé m'a longuement appris.
Comme
nous avions aussi un passé de sportifs amateurs, que nous partagions
une certaine passion pour les "stratégies de la gagne",
lui dans le handball et moi dans le rugby et la boxe, je lui
rappelais que l’addition de stars du ballon ne faisait pas la
force de l'équipe. "L'équipe est un système vivant et complexe, où des
gens ont d'une part la fierté de participer à l'histoire de
l'équipe, du "groupe", le plaisir d'y être accueillis et reconnus pour la qualité de leurs apports, mais aussi l'envie de s'investir, de jouer". "Si
tu as une bonne stratégie, les gens suivent !" me
rétorqua-t-il. "Le coach n'est plus le sachant qui apporte tout
sur un plateau. Regarde dans ton sport un entraîneur comme
Onesta : il laisse ses joueurs décider de tout pour le jeu et
la gagne, et ça marche. Il sait tout ce que je te disais et aussi qu'il ne
sait pas tout... comme bon nombre, d’ailleurs."
Nous marquâmes un
temps d’arrêt... Je faisais, comme nous disions, "un
tour à la cuisine", c'est à dire que je le
laissai réfléchir à tout ça sans en rajouter. Il avait
bien raison sur bien des choses. C'est seulement le chemin
qui nous séparait.
Je
relançais ensuite. "Le monde a changé. Tout le monde sait
plein de choses, les employés comme les patrons. Nous avons tous
été bercés à être de bons clients exigeants et nous le
sommes devenus. Chacun connait les critères et les
valeurs des choses que nous achetons ou que nous produisons. Chacun
connait bien sa partie. Chacun connait le client mais chacun selon
son action. Plus personne ne connait tout. Nous avons besoin de nous
regrouper, de nous associer pour faire et produire mieux. Si
les entrepreneurs le savent, les employés aussi.
Aujourd'hui, c'est la logique de réseaux, d'association, de
codécision qui prévaut pour l'efficacité. C'est bien ce qu'a compris Jean-Dominique Senard, le président de Michelin. C'est le sommet de la
pyramide de Maslow qui est importante : se réaliser. Alors nous
devons animer les organisations dans ce sens : lâcher prise sur les
décisions que les employés peuvent prendre, leur ouvrir des espaces
d'expérimentation. Et s'ils se trompent, ils sauront mieux que
quiconque ce qu'il faut corriger et comment le faire. Il faut juste
les accompagner. Est-ce que tu décides à la place de ton client ?
Non, bien sûr ! Eh bien, c'est ce à quoi j'invite les patrons :
décider moins, animer les partages, les collaborations et les associations
d'individus, encourager l'innovation et prendre les
risques ensemble, célébrer les succès, tirer partie des faux-pas et égaliser les
différences. Ainsi, tous ces gens qui comme toi et moi, aiment
décider, agir, s'engager, réussir, pourront le faire et tous auront
à y gagner, l'entreprise la première. Je te promets que le résultat
d'exploitation sera bien meilleur en passant par là. Bien des
entreprises, en France et ailleurs, ont franchi le pas. Elles marchent
mieux. Ce sont les entreprises qui ont libéré leurs potentiels,
leurs énergies, leurs talents... La force du management aujourd'hui
repose sur un pragmatisme humaniste : laisser les gens faire ! S'ils
décident eux même, ils font mieux et plus adapté. Alors
l'entreprise progresse. Elle gagne des marchés..."
Je
me tus, j'en avais assez dit. Il était temps que je refasse "un
tour à la cuisine"... "Tu prends toujours un sucre dans
ton café, Alain ?"
Jean-Marc
SAURET
Publié
le 24 février 2015
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