La question du sens occupe toute la réalité du
management. Or, la dictature de la forme fait que quotité, quantité, taille,
poids, etc. existent bien plus que la qualité et là tout est à dire... Nous sommes dans une culture qui considère que tout ce
qui se compte existe, et que le reste n’est qu’impression, fugacité. Ainsi, dans nos pratiques
ordinaires, les démarches de contrôle ont pris le pas tant sur la création que sur la
réalisation. Au point qu’il nous a fallu " inventer " l’innovation
pour continuer à avancer, l’ordinaire étant bloqué... Quelle est donc cette réalité dont nous traitons, dont nous nous
occupons et qui nous préoccupe ? Ce point de vue est essentiel parce qu’il
va diriger tous nos comportements et guider toutes les réponses, solutions, à
nos problématiques.
Oui, nous avons l’habitude d’entendre que l’erreur
est humaine et nous avons piteusement fini par trouver cette assertion ordinaire,
voire tautologique. La rigueur du trait semble plus importante que ce qu’il
dessine, n’est-ce pas ? Alors certains préfèrent Jean-Auguste Dominique Ingres à Jean-Marc Reiser. D'autres
préfèrent la magie de l’évocation à la précision graphique. On dit du second qu'il est une représentation "fidèle"... Mais fidèle à qui et fidèle à quoi ? A l'idée que l'on se fait du réel, de ce qui est important, de ce qui est essentiel ?... Mais le mot "essence" ne renvoie-t-il pas au sens des choses plutôt qu'à leur forme ?...
Dans le domaine du management et de la vie des
organisations, il me semble comprendre que la qualité du trait renvoie au contrôle et à la procédure
quand l’évocation impressionniste renvoie à l’intelligence collective. L'une précise la forme, l'autre convoque le sens, l'essence.
Nous avons déjà
longuement disserté sur l’opposition binaire entre la pensée
mécaniste et la pensée organique, l'une se focalise sur la structure et l’autre l'autre sur le
vivant. Ceci appartient, me semble-t-il, à la posture du sujet regardant le
monde. Schopenhauer écrivait en 1818 dans son ouvrage fondamental « Le
monde comme volonté et comme représentation » que la réalité n’est
qu' « un objet pour un sujet qui le regarde. Si le sujet s’en va,
l’objet disparaît ». Il y a là le fondement du constructivisme développé à Palo Alto
par le psychosociologue Paul Watzlawick. Cela nous indique que la culture
fait la réalité qui nous fait le prétexte à nos choix de solutions.
Voilà pourquoi, fondamentalement, la culture dans mon regard a une influence tout à fait déterminante sur le développement
pratique des organisations, et de leur productions. Ainsi, la question du choix,
de la solution, ou de la résolution de la problématique, n’est pas dans l’étude de la situation (le contrôle ou le comptage), mais dans la manière dont je la regarde. Ainsi changer ma
posture, change mon regard, lequel change la solution. Certes, changer son regard ne va
pas de soi, je le concède.
En effet, tout ce qui nous fait
mystère est ordinairement indiqué comme une source d’erreur, et même perçu comme responsable de nos maux.
Ainsi, l’étranger apporte la mort et la misère, l’informatique est responsable
de toutes les erreurs de calcul, comme des anomalies d’adressage ou d’enregistrement de données ou
d’information. Ainsi, l’humain, ce mystère profond caricaturé d’évidences
et de pensées courtes, s'avère une autre source de dysfonctionnements.
Il me revient cette petite histoire que j’ai
déjà plusieurs fois citée, où l’ethnologue Claude Rivière rappelle que les
sciences dites exactes qualifient les sciences humaines d’inexactes et que donc,
réciproquement, il s’interrogeait de savoir si, dès lors, les sciences dites
exactes ne seraient pas plutôt des sciences inhumaines… Il n'y a pas de vision exacte du monde mais que des visions comprises.
Si nos expériences façonnent nos références à
penser le monde (c’est ce que nous indique Dominique Fauconnier dans son
atelier des métiers), peut être alors devrions nous commencer par changer notre
pratique ordinaire, notre écriture par exemple, celle qui pose notre intelligence dudit monde… Et si nous nous attachions plutôt à la sémantique de nos écrits, de
nos lectures, qu’à leur syntaxe ? Oui, bien sûr, j’entends la gêne
exprimée par nombre d’entre nous à la lecture d’un texte que nous trouvons « bourré
de fautes ». La forme emporte le fond, ai-je déjà entendu dire. « Sans
cette forme, je n’arrive pas à comprendre le fond. Je corrige d’abord les
fautes et, ensuite, je lis » me confiait un bon ami.
Que la syntaxe soit au service de la sémantique
ne me gène pas, certes. Mais ce qui compte, n’est ce pas ce que donne le texte en termes de sens, d’émotion ? Ce que donnent les lettres et les mots en termes de
symboles ? L'écriture n'est elle pas symbole ?... Mais alors, ne serait-ce pas notre attachement, voire
enfermement, dans la rigueur du symbole, la reconnaissance facile de sa forme
habituelle qui prédominerait alors lors de nos lectures et écritures ? Il
y a effectivement quelque chose de l’ordre du lien social dans le symbole, c’est
indéniable et c’est bien là sa fonction étymologique. Mais ce lien social
ne se fait il pas au détriment de la création, de bouger les murs ?
Sincèrement, il me le semble. Il ne nous faudrait pas confondre le symbole et ce qu'il indique.
Alors, pour boucler la boucle, peut être
devrions nous passer d’une attention syntaxique à une plus grande attention
sémantique et, dès lors, notre intelligence du monde s’ouvrirait de nombreuses
hypothèses nouvelles, de nombreuses solutions innovantes, inattendues,
impensables jusqu'alors…
Jean-Marc SAURET
Ça me fait penser au petit prince :
RépondreSupprimer"Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais : "Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?" Elles vous demandent : "Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?" Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : "J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toît...", elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire : "J'ai vu une maison de cent mille francs." Alors elles s'écrient : "Comme c'est joli !""
Carole