Les contraintes économiques et financières hypothèquent les moyens
des organisations. Leurs managers, plus gestionnaires que dynamiques, se "retaylorisent" : "Il faut faire confiance aux chiffres, proclament-ils. Ils
sont têtus et ne mentent pas !" Peut-être mais cette pratique pourrait
bien constituer une erreur profonde due à une posture par trop mécaniste et
gestionnaire. La peur de perdre provoque un resserrement des comportements sur
des pratiques habituelles, et pas nécessairement les meilleures, c'est à dire celles qui sont teintées de
l'image de la rigueur : le chiffre. Comme le disait une médecin du travail,
très impliquée dans le champ de l'humanitaire :"Les chiffres disent
n'importe quoi sous la torture".... Comme nous l'avons plusieurs fois
indiqué, l'avantage concurrentiel des organisations se trouve dans cette intelligence
pratique dont les collaborateurs sont porteurs tant individuellement que
collectivement.
L'idée
que l'erreur puisse être humaine (au lieu de penser à l'intelligence
créatrice de l'humain) développe chez les managers et les dirigeants, une
irrépressible envie de tout diriger, de tout contrôler, de tout faire "à leur sauce" et, à la place de tous... Mais pendant qu'ils
contrôlent ils ne travaillent pas. Pendant qu'ils contrôlent, ils adressent un
message fort à tout le monde : "Vous n'êtes pas fiables !"... Comment
voulez-vous après cela que lesdits collaborateurs s'investissent et s'engagent
dans leurs missions ? La peine est perdue et c'est "peine perdue" ! Les bras leurs tombent le long du
corps. Ils vont, dès lors, faire le "minimum syndical". Ces pratiques prétendument managériales en ont fait des adversaires.
Ils pensent qu'il leur reste à "maîtriser" cette résistance à leur management, résistance qu'ils pensent mécanique. Ils pensent aussi qu'il va leur falloir user de force et de pression, les obliger à... Ainsi, le bâton
refait son apparition dans les entreprises. Contraindre ! Voici le maître mot du management directif, celui qui ne donne plus rien de bon dans nos organisations. Pourquoi ? Parce que nous vivons dans un monde plus confortable, dans un monde où l'acteur-client s'est vu dorloté et reconnu sur sa capacité de choisir, dragué même (cf. par exemple, mes articles sur l'ultra-consommation). Et vous imagineriez que ces acteurs là puissent se soumettre à ces pressions-là ? "Pressez-les" et vous les verrez disparaître dans tous les recoins cachés de votre organisation. C'est ce que j'appelle la "politique du noyau d'olive" : pressez dessus pour le maintenir là et il disparaît sous le buffet...
Nous voyons ainsi nombre de dirigeants d'organisations qui, pensant résoudre radicalement les problèmes de rendement ou de qualité de production, souhaitent avancer plus vite. Ils décident alors en petits comités des solutions non partagées, voire secrètes, qu'ils imposent au plus grand nombre. Je pense à ces départements de la territoriale "repris en mains" par de nouvelles équipes dirigeantes qui se voient reprocher d'avancer trop vite alors qu'elles avancent, en fait, bien plus et bien trop lentement. Pourquoi ? La réponse s'impose : elles voudraient avoir, en plus de l’obéissance, l’adhésion spontanée (voire de droit) des acteurs... Dès lors, les résistances pour manque de sens se développent. Les dirigeants imposent et tentent le passage en force dans les instances paritaires. Les organisations représentatives du personnel "bloquent" alors, pratiquent le zèle que permettent les instances et le processus de changement se ralentit inexorablement. Les équipes dirigeantes passent outre parce qu'elles en ont le droit et le nœud se resserre plus loin, plus dur, plus fort...
De manière seulement stratégique, si les dirigeants considèrent le partenaire social comme un adversaire empêcheur d'avancer à sa guise, les choses se passent inexorablement comme cité ci dessus. Si les dirigeants considèrent les partenaires sociaux comme de véritables partenaires avec qui ils pourront organiser le changement, alors les choses se passent très rapidement. On retrouve cet accomplissement dans des accords locaux et globaux, à la mesure des problématiques de terrain que connaissent parfaitement les gens de terrain. Bien entendu, la décision n'est plus exactement celle prévue par la direction. Mais elle est forcément plus adaptée à la situation et aux acteurs eux-mêmes.
Ainsi, deux voies s'ouvrent à nous : partager en toute intelligence les finalités et les nouvelles raisons d'être des organisations en laissant les collaborateurs initier les "comment s'y prendre", ou bien tenter le passage en force et alors les noyaux d'olives disparaissent sous les buffets, voire, nous reviennent en plein visage...
Lors d'un atelier de partage des pratiques en management, le groupe débattait de la question du temps autour de la préparation ou de la réparation des réorganisations. Je leur faisais remarquer qu'une seule lettre différenciait les deux mots (le "P") et que, sur le scrabble du management, cette lettre tombait toujours sur la case "Mot compte triple", à savoir que le temps que vous ne passerez pas à préparer sera rapidement multiplié par trois pour réparer ce que vous venez d'imposer...
Voilà pourquoi la tentation du retour au management par le bâton s'avère être une démarche quelque peu stupide. Et maintenant, c'est à vous de "jouer", mais ce n'est pas du scrabble...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 6 décembre 2016
Lire aussi : "Le sage et l'enfant"
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