L'évolution post-moderne de notre
société produit des systèmes d'adhésion singuliers liés à l'émotionnel, aux
phénomènes tribaux, aux principes de consommation plutôt qu'à la raison. La posture de consommateurs
se substitue à celle de citoyen ou de sujet : "mon désir d'abord et comme seul
conducteur légitime de tous mes comportements". Elle apparaît dans l'expression très souvent retenue : "Et si j'ai envie ?".
L'abandon de toute rationalité au dépend de la pulsion de
désir quasi limbique apparaît dans celle-ci qui en constitue la réciproque :
"Et pourquoi pas ?...". Ainsi, la culture d'ultra-consommation se
substitue à la culture populaire au titre de ce qu'elle se propose de l'être.
De cette manière les célébrations populaires comme Halloween,
Thanksgiving et Noël sont devenus des moments de surconsommation. Le black
friday se pose comme l'un de ces événements prétendument chargés de
tradition populaire. Il ne s’agit en fait que d'une action
commerciale supplémentaire au même titre que la période des soldes. Supercheries culturelles...
Notre lien social s'est considérablement transformé. Les systèmes
de solidarités fonctionnelles ont disparu derrière les solidarités
émotionnelles, et les comportements lors des périodes de soldes, ou du black
friday, montrent des postures individualistes et ego-centrées semblables à
celles que l'on connait chez des enfants de trois à cinq ans. Oui, il y a
quelque chose de limbique dans le pilotage de ce type de comportements, quelque
chose de compulsif. Ne cherchez rien de raisonnable dans les comportements post-modernes. Ce n'est justement pas là leur spécificité.
Nous nous souvenons que, dans la post-modernité, l'activité identitaire, que je nomme
"identation", se polarise sur la propriété de l'objet. De la même façon, la
jouissance se trouve focalisée sur l'objet. Ainsi, le lien social post-moderne se développe-t-il aussi autour de la seule perspective de jouissance par l'objet. Il n'y a plus d'action créatrice qui participe au
développement identitaire. Si, comme Maslow l'avait décrit en 1954, le besoin
d'appartenance est suivi par celui de reconnaissance, il semblerait que dans
cette identité par l'objet et la consommation, la singularité du sujet se fasse
sur l'excès, l'excès de consommation, l'excès de l'objet consommé, l'excès de jouissance. Ainsi on
assiste à des concours "du plus" ceci ou cela. Nous félicitons
le mangeur du plus grand nombre de flans à la minute, les découpeurs
de plus de pastèques, le propriétaire du plus grand nombre de paires de
chaussures, etc. Il ne s'agit pas vraiment de collectionneurs amateurs au vrai sens
du terme, mais du développement de comportements compulsifs, ceux-ci justement
que tend à développer la culture consumériste.
La vacuité identitaire, cette activité sans objet ni raison,
fondée aujourd'hui toujours davantage sur la pulsion ou compulsion, trouvent une
réponse partagée, donc populaire et sociétale, dans la consommation. Celle-ci est devenue un "lieux de
soulagement du vide". Nous sommes une société de la dévoration où nos maladies
sont le cancer qui nous dévore, l'obésité où l'on "dévore" et
l'anorexie où l'on s'oppose au système. L'acte que l'on pose pour exister vise à se situer et le plus simple pour cela est d'appartenir à une tribu. Ce sera la tribu des propriétaires de telle marque de smartphones, de telle ou telle marque de vêtements et chaussures. Ainsi, il me semble
tout aussi irrationnel mais effectivement émotionnel d'appartenir à la tribu des supporters de l'OM ou du
Paris Saint Germain, de la rave partie, des zadistes ou du front national.
Ainsi, il y a dans le vote FN quelque chose de symétrique à l'adhésion à un islamisme radical. Il s'agit de s'inscrire dans un groupe d'opposition, de
s'inscrire en contre d'une société insatisfaisante. L'ultra consommation génère
plus de frustrations que d'espoirs. Même si, pour quelques-uns, il y a une adhésion rationnelle à l’extrême droite vichyssoise, la grande majorité s'oppose "au système" parce qu'elle ne supporte plus ce monde de frustrations qui ne lui accorde pas ses promesses. Il nous faut rêver ! Il faudra aller chercher cet indispensable
ailleurs, et tant que Daech et le Front national "gagneront", ils seront comme "des pompes identitaires". Le jour où ils perdront, l'assemblée se videra.
Il me semble important de noter qu'il y a aussi dans ce type
d'adhésion, il me semble, quelque chose de l'ivresse de la transgression, et de
l'émotion qu'elle produit. On retrouve ici quelque chose du même ordre que le comportement d'une certaine jeunesse puritaine
faisant l'amour dans les voitures au risque excitant de se faire
surprendre. Mais il y a aussi la sensation de passer du côté sombre des
gagneurs-voleurs, quelque chose qui s'apparente au domaine de la vengeance et de la revanche même. Par
malheur, les conséquences ne sont pas les mêmes et nombre de
"djihadistes" tentent de revenir en arrière devant l'horreur vécue ("On
est parti pour tuer, pas pour être tués", voilà ce que semblent réaliser des adolescents
de retour). Nombre d'adhérent FN quitte cette formation devant quelque chose qui leur parait insupportable, comme une transgression de valeurs. Dès qu'il n'y a
plus de jouissance en perspective, alors l'adhésion tombe.
Je ne dis pas que la raison à complètement lâché les esprits des "gens de peu". Ce serait faire insulte. L'aventure de Jeremy Corbin à la tête du labour en est une preuve. Les aventures de Podemos en Espagne et de Syriza en Grèce le sont aussi. Je dis que ce que nous vivons en termes de comportements émotionnels est de notre faute. On ne combat pas le terrorisme et la bascule dans
les extrêmes par la répression, la moralisation ou la stratégie. On
les combat par la transformation du lien social, par un travail sur les portes
de l'imaginaire, sur l'idée du bonheur et les perspectives d'un avenir
meilleur : ne plus avoir peur, ni froid, ni faim mais avoir la perspective d'être fier et libre. C'est d'abord cela que nous apporte le travail. Une société sans emploi est une société totalitaire.
Si aujourd'hui les
concepts d'éthique et d'humanisme reviennent en force dans les cercles de
réflexion, c'est bien parce qu'ils manquent cruellement aujourd'hui, alors que
cela allait de soi dans la période moderne des enfants des lumières. Y a-t-il
quelque chose qui nous fasse rêver aujourd'hui ? Poser la question
est y répondre. Et si la réponse est non, nous risquons le retour d'une
Rome décadente, réclamant du pain et des jeux et récoltant totalitarisme
et cruauté. Qu'en ferons nous ?...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 15 décembre 2015
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