L’après guerre a vu se développer progressivement,
lentement puis de manière exponentielle une économie globale totale. Éblouies par les productions américaines et l’image libérale de ce « monde »,
progressivement, les populations populaires (ce pourrait être un pléonasme,
mais non) vont intégrer l’idée d’une consommation de produits uniques et
universaux. Celle ci va progresser des boissons aux voitures en passant par
l’électroménager : l’idée qu’un seul produit puisse contenter une
population entière s’installe. Bien que le fantasme fût déjà rêvé, son possible
n’était pas encore envisageable. Avec les années cinquante, le rêve économique
devenait réalité. L’objet allait porter le bonheur. L’ère d’une grande
consommation unique arrivait.
Ce que nous n’avons pas vu alors, ni encore, c’est le
bouleversement des rôles sociaux, du lien social, de l’être ensemble que cela
produisait. Revenons sur le déroulé du film. Jusqu'au début de cette période
euphorique, l’économie (je dirais même mieux, le commerce, comme on en parlait
à l’époque) était locale. La majorité de la production agricole était de
survivance avec des distributions directes locales, histoire de payer « la
lumière et les impôts ». C’est ce que l’on appelle aujourd'hui des
circuits courts. La production des biens et des services était locale et
immédiate.
Ainsi une économie sociale développait des villages pratiquement autarciques. Le « paysan » cultivait ses légumes, quelques volailles, produisait parfois son lait pour son fromage dont il vendait ou offrait une partie, mais aussi son grain qu’il déposait contre un droit de pain « au » boulanger qui le faisait moudre par le meunier. Le bûcheron, souvent aussi charbonnier, fournissait le boulanger et le forgeron, lequel forgeait le soc de charrue du « paysan » et le rasoir du boulanger, du docteur, du gendarme et du receveur des postes. L’économie, qu'on disait "commerce", était locale. Aussi, le curé possédait le secret des cœurs collecté dans le confessionnal, le « docteur », celui des corps, le receveur des postes celui des portes monnaies et le gendarme voulait être l’ami des trois… (Sic mon grand père).
Ainsi une économie sociale développait des villages pratiquement autarciques. Le « paysan » cultivait ses légumes, quelques volailles, produisait parfois son lait pour son fromage dont il vendait ou offrait une partie, mais aussi son grain qu’il déposait contre un droit de pain « au » boulanger qui le faisait moudre par le meunier. Le bûcheron, souvent aussi charbonnier, fournissait le boulanger et le forgeron, lequel forgeait le soc de charrue du « paysan » et le rasoir du boulanger, du docteur, du gendarme et du receveur des postes. L’économie, qu'on disait "commerce", était locale. Aussi, le curé possédait le secret des cœurs collecté dans le confessionnal, le « docteur », celui des corps, le receveur des postes celui des portes monnaies et le gendarme voulait être l’ami des trois… (Sic mon grand père).
Ainsi les identités sociales étaient alors portées
par la capacité d’apport de chacun à la dynamique du collectif que nous
appellerions aujourd'hui la communauté. La qualité du service ou du bien
qualifiait son auteur. La fierté professionnelle en était. Ainsi mon père,
subdivisionnaire des ponts et chaussées dans son village lotois, me racontait
avoir dit au forgeron que le « coupe choux » qu’il lui avait fabriqué
grattait… Le forgeron lui demanda de le lui rapporter. Il le brisa et lui en
confectionna un autre. Il ne serait pas dit que ce forgeron laissât en
circulation un de ses rasoirs imparfait…
Dans ce commerce là, la fonction fait la personne. On
comprend mieux pourquoi le savoir se perpétuait de père en fils, ou de maître à
apprenti, avec l’éthique et la fierté qui vont avec. Le métier faisait partie
de l’héritage. Le lien social ainsi était lié aux interdépendances des métiers
et aux capacités de contribution des gens du coin.
La montée de l’économie globale totale est venue
bousculer ce système de liens sociaux, identitaire et relationnel. Tout le
monde voulant le « frigidaire », le moulin à café électrique, le
poste de radio « Manufrance », la production devint massive et
centralisée. La distribution devint un métier. Le beurre, les pâtes, le riz, le
vin pouvaient aussi être fabriqués en masse, acheminés et distribués plus loin.
L’histoire du père Leclerc pourrait faire modèle.
Dès lors, le développement d’une économie de masse et
centralisée, globale et totale, est en marche. Les épiceries ferment, cordonniers,
savetiers, « bouteillers » et potiers aussi, etc. Les paysans
disparaissent au profit d’agriculteurs qui vont devoir cultiver toujours
davantage, produire toujours plus, développant de grandes monocultures,
investir fortement et gagner moins dans nombre de régions françaises. Les
bénéficiaires du système vont se faire rares mais riches. Ce que nous appelons
aujourd'hui les petits métiers disparaissent. Connaissez vous un bûcheron
charbonnier, un forgeron qui fait des coupe choux, un receveur des postes,
etc. ?
Le lien social lié à cette sociologie
« artisanale » a donc disparu. Que nous reste-t-il aujourd'hui ?
Il nous reste des employés et des ouvriers dépendant des « boites »
qui les emploient. Il ne s’agit plus d’avoir un métier ni de continuer et
perpétuer celui de son père ou de sa mère, mais d’avoir un emploi… La majorité
de l’identité sociale n’est plus liée à sa propre production de bien ou de
service comme le fait un artisan, mais à l’emploi. Sans emploi, pas de vie
sociale, pas de collègues, pas de sous, pas de consommation… La sociologie a
brutalement changé. Nous somme passé de celle du village global à celle des
collègues. L’incidence sociale n’est pas la même, et la fonction s'avère différente : les
valeurs, les identités ont donc aussi changé.
Sans emploi aujourd'hui, pas de socialisation
possible. L’économie globale totale a effacé la responsabilité de chacun,
l’impact de chacun sur les échanges sociaux. Dès lors, de pragmatique, la vie
devient de consommation et c’est elle qui fait le lien social global. « Pauvre,
peut être mais j’ai les Nike, le coca et la DS… ». Société hédoniste, peut
être, mais aussi de la frustration et de l’inconséquence…
Voilà pourquoi une part toujours plus importante de
la population lâche prise sur cette toute consommation, préfère produire,
réinventer les circuits courts, retrouver des produits sains, échanger des
services et des biens que l’on ne jette plus, que l’on recycle, etc… Quand on
demande à ces gens pourquoi ils pratiquent cette dite « consommation
solidaire » (on ne peut pas s’empêcher d’appeler cela de la
« consommation » alors qu’il s’agit uniquement d’usages), ils
répondent que c’est pour rencontrer des gens, c’est-à-dire du lien social. Nous
sommes en train de reconstruire la sociologie des villages globaux.
Alors donc, si d’aucuns parlent de crise, c'est peut être
parce qu’ils voudraient bien que revienne ce temps court de la surconsommation
et de la production massive, de l’économie globale totale. Mais les temps
ont changé et la page se tourne. Le temps de l’économie globale totale s’achève
et ils appellent ça la crise.
J’entend quelques sceptiques me dire parfois que ça va
quand même continuer, que le système est trop installé, que la mondialisation
est trop implantée, que les banques sont trop puissantes… Tout ceci est vrai,
certes, mais il me souvient cette phrase de Louise Michel : « Cinq
minute avant, cela paraissait improbable. Cinq minute après, cela paraissait
évident ».
Jean-Marc SAURET
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