En
matière de management, nous avons l'habitude de parler de cultures
d'entreprises. Quand un consultant ou un visiteur, voire un
nouveau collaborateur arriver dans un nouveau collectif, il
doit, dans ces conditions et dans un premier temps
"s’acculturer". En d’autres termes, il lui
faut s'approprier les us et coutumes du lieu. De la même façon,
il lui faut faire siens les valeurs et les tabous du
collectif. Oui, les organisations sont des microcosmes relevant de la
réalité des tribus. Elles rivalisent avec d'autres, voire
s'affrontent pour préserver la survie et la pérennité de leur
groupe.
Ainsi,
elles s'accordent, s'associent, négocient, transgressent et
"trans-actent" à des fins de prospérité et de
survivance.
Alors,
les acteurs de cette collectivité d'individus, avec leurs rôles,
fonctions, structures, liturgies et rites, développent, -parce
qu'ils en usent-, une culture interne qui fait "fourches
caudines". Voilà qui constitue la rançon (ou la
raison), du vivre ensemble, dans et avec l'entité.
Ainsi,
avons nous vu se développer un métier nouveau, celui d'ethnologue
en entreprise. Nous nous souvenons de l'excellent ouvrage
de l’anthropologue Pascal Picq : "Un
Paléoanthropologue dans l'entreprise", paru en aux
éditions Eyrolles en septembre 2011.
Ainsi,
il n'y a pas de pratique qui soit anodine, dans une organisation.
Chaque pratique produit du sens et participe à la constitution de
rites et de croyances, allant même jusqu'à des formes
identitaires particulières. Ainsi les pratiques dans lesquelles nous
sommes socialisés, participent-elles à l’élaboration de notre
"être au monde". Les injonctions faites aux enfants, de
type "Dis bonjour à la dame", "Enlève ta casquette
quand tu parles à quelqu'un", "Ne mets pas tes coudes sur
la table !", etc. constituent les éléments d'une appartenance
au groupe, d'une identité dans, et pour ledit groupe.
Ce sont des éléments de socialisation.
Une
amie ethnologue me faisait remarquer que, dans les populations
antillaises issues de l'esclavage, l’adultère avait une
connotation positive. Il faisait même l'objet d'une
fierté reconnue socialement... (même s'il provoque les mêmes
colères qu'en métropole chez certains protagonistes). Les colons
"faisaient procréer" les plus beaux de leurs esclaves avec
les plus belles d'entre elles, de manière à "optimiser leur
cheptel". C'est horrible, mais c'était cela... Ainsi, ceux
et celles qui avaient le plus de partenaires étaient considérés
les plus belles et les plus beaux. Mon amie me faisait remarquer, que
ce sentiment avait une certaine réminiscence encore à l'heure
actuelle chez les descendants de ces populations.
Ainsi,
cette fonction réputée “positive et identitaire” de
l’adultère, se poursuit encore de nos jours, et
constitue une “trace”, dans une part de cette
population. La pratique fait donc culture.
Quand,
dans une organisation, un patron se mêle de tout, jusqu'à décider
du recrutement des "petites mains", s'il se met à
contrôler tout ce qui se fait et fait passer par lui toutes les
décisions, s'il contrôle à tout va, impose une dictature du
chiffre, cela aura une incidence profonde dans la vie de
l'entreprise. On pourrait imaginer que les collaborateurs se
rebellent et résistent.. Il n'en est bien souvent rien. On constate
que ceux-ci ont plutôt tendance à se mettre en conformité. Ils se
coulent dans les contraintes du pouvoir, dénoncent ceux qui
transgressent, entrent en compétition avec leurs anciens amis,
trahissent les anciennes pratiques au profit de celles de la nouvelle
culture... Les pratiques font bien culture.
Alors
que pourrions nous en dire et en faire ? Il faut juste savoir ce que
nous voulons. S'agit-il en l’espèce, de développer une
forme de lien social, et donc ce “vivre ensemble” que
nous désirons ?
Alors,
il ne nous reste plus qu'à passer à l'acte et de poser (voire
d’imposer) des actes qui feront culture. Ce sont bien ceux qui,
“justement”, viendront contrecarrer les ”autres”
comportements : ceux qui conduiraient vers le lien social dont nous
ne voudrions explicitement pas.
Je
repense aux conséquences comportementales d'une action de dirigeant
par trop taylorienne, contrôleuse et froidement gestionnaire sous la
dictature du chiffre.
Dans
les années soixante sont apparus des actes singuliers, comme les
happening. Ils avaient pour fonction d'orienter les consciences vers
une relecture du réel sociétal et social. Aujourd'hui, dans les
entreprises, interviennent des coachs, des consultants dont la
fonction est de forcer quelques habitudes en
ouvrant des "possibles". Cette possibilité
d'ouverture et d'expérimentation fait culture aussi.
Mais
il y a aussi des comédiens et des clowns qui viennent dans les
entreprises, soit pour donner à voir ce que leur regard candide
perçoit en entrant dans l'organisation, soit pour désacraliser des
rôles, des fonctions, des postures, des rites...
Ces
actes là aussi viennent infléchir les représentations internes et
donc ce qui fait la culture de l'organisation, du groupe.
Je
me rappelle être intervenu dans une institution où
j'exerçais mes compétences de consultant. Constatant une
déliquescence managériale, une absence de rites favorisant la
contribution et la reconnaissance des acteurs, j'y avais introduit
des "GEP", ou groupes d'échange de pratiques. Sous ce nom
au sens largement ouvert, j'organisais des groupes d'échanges et de
réflexions sur les pratiques.
Je
suivais les interrogations et les questionnements pour élaborer
ensemble des pistes de réflexions, apporter quelques éléments
conceptuels, ouvrir des fenêtres sur ce que pouvait être le
management.
C’était
bien là ce qu'attendaient ces acteurs du management, de fait au
service du vivre ensemble (volontairement ou non, consciemment
ou non).
Aux
premiers pas, les acteurs ciblés (les managers de terrain, dits de
proximité) restaient sceptiques sur l'utilité d'une telle démarche.
J'avoue avoir constitué les premiers groupes d'échange avec de
bienveillants "complices" déjà curieux de la démarche.
Ils
ont fait la publicité du processus et, peu à peu, les GEP
se sont développés, à tel point que je dus en augmenter la
fréquence, en thématiser les séances, tout en intégrant
d'autres modules spécifiques à la demande.
De
fait, ces GEP firent culture et nombre de managers prirent l'habitude
d'y participer, en l’occurrence depuis des managers de
proximité, jusqu'à quelques directeurs. La culture du management
devint plus humaniste, plus bienveillante et le directeur général y
prêta une attention toute particulière, jusqu'à me confier
l'orientation du management de l'organisation.
Puis
ce directeur général fut “remercié”... et son
successeur, plus “frileux”, et surtout soucieux de ne pas
voir le management lui échapper, trouva un prétexte
(fallacieux) pour les arrêter, voire même les interdire.
Cela
souleva une plainte conséquente des habitués et de nombre de
managers qui n'avaient même pas encore participé à leur première
séance. La culture managériale avait radicalement changé, malgré
ces réticences du nouveau directeur général, lesquelles n'avaient
pas encore fait “culture”.
C’est
ainsi que nous pouvons assurément, par des actions
pensées, faire vivre aux acteurs d'un groupe, des "aventures",
des "expériences" qui feront culture, notamment dans
le sens d'un lien social espéré. C’est tout l’objectif de la
démarche.
Jean-Marc SAURET
Le mardi 23 octobre 2018
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