Posons a priori que
l'intelligence n'a rien à voir avec les grades, les fonctions et les diplômes.
Elle est, me semble-t-il, cette capacité mentale à comprendre l'environnement
et à se préparer à en faire quelque chose, ou à s'y adapter. Cette faculté est nécessaire à
toutes les fonctions, à tous les métiers ou autres niveaux sociaux. Elle a
permis à l'être humain de s'installer partout dans le monde, même dans des
environnements les plus improbables comme aucune autre espèce animale n'a su le
faire. C'est là une définition qui me suffit.
J'ai rencontré des gens à la
fonction professionnelle ou sociale particulièrement modeste, et avec une
histoire de vie aux parcours et circonstances tels que l'on pouvait dire qu'ils
ne se trouvaient vraisemblablement par "raccords" avec leurs
appétences et leurs compétences. Par là même, ceux-ci ont pourtant fait preuve
de capacités de réflexion, d'analyse et de synthèse bien au-dessus de la
moyenne. Ils développaient, à cet effet, un esprit critique qui bousculait la
bien-pensance et les pensées courtes*. On disait d'eux qu'ils
avaient "du vécu"...
J'ai, bien entendu, rencontré
aussi des gens socialement "bien placés" qui ne présentaient pas,
pour autant, les capacités d'esprit, ou les qualités personnelles attendues ou
espérées. Ceux-ci avaient développé une certaine propension à user des pensées
courtes précitées, associées à ces formules et représentations du domaine du
"prêtes-à-penser". J'ai eu, à l'évidence, infiniment moins de
plaisir à les côtoyer.
J'avais cette affreuse sensation
de croiser des "copies" de personnes, pas les personnes elles-mêmes.
Je me suis souvent demandé d'où leur venait ces comportements réducteurs. J'ai
cru comprendre, à l'aune de la sociologie des représentations sociales, qu'il
s'agissait de visions d'eux même et du monde localement et socialement
partagées. D'autres comportements, gestes, attitudes et postures
physiques semblaient aussi être partagées par eux comme des rituels
(rituels d'appartenance ou de reconnaissance).
Car si c''est bien elle que l'on
retrouve au cœur de tout ce que nous "sommes" et de tout ce
que nous faisons, cette intelligence doit être la plus lucide, la plus
efficiente, et surtout conforme à celle que nous rêvons d'avoir, en la
développant. L'intelligence, terme générique, peut donc s'estimer, s'évaluer à
l'aune de nos capacités à changer de posture. C'est bien en la faisant évoluer
dans le sens d'une adaptation continue à l'environnement, qu'elle va
devenir "meilleure", sinon "la meilleure" ! L'intelligence
est donc souplesse. Elle épouse les formes et les conditions du contexte afin
que nous puissions en tirer le meilleur parti. Elle n'est ni dogme, ni rancœur
ni violence.
Mon ami William Carranza,
consultant expert en sûreté, m'en faisait ce matin la remarque : la réponse aux
contraintes d'un système (donc du système) est toujours personnelle et
individuelle, comme elle l'a continuellement été depuis la nuit des temps. Que
le système soit l'environnement naturel ou l'environnement économique, la
problématique reste la même. Bien qu'entachée de culture et de représentations
sociales, la réponse est bien d'essence personnelle et individuelle. Nous ne
sommes pas les "patrons" du système naturel qui nous environne, ni du
système économique dans lequel nous interagissons. Ce serait, en cette occurrence,
un fantasme de toute puissance qui nous y inviterait. De la même manière que
nos anciens se sont adaptés aux changements naturels climatiques ou saisonniers
dans leurs déplacements, nous nous adaptons personnellement et individuellement
au système capitaliste, mais aussi à tout autre, là où règnent des logiques de
pouvoir et de territoires.
Mais voilà que je tourne autour
du pot sans indiquer clairement ce que l'on peut entendre sous le concept
d'intelligence. Le bon sens commun n’en dit pas grand-chose. Il considère juste
que l'intelligence est un ensemble de facultés mentales permettant de
comprendre les phénomènes et les relations entre les choses et les objets, à
fabriquer des modèles à penser le monde… Cette conception m’apparait quelque peu incomplète, voire même insatisfaisante.
L’intelligence me parait ce
processus symbolique et associatif qui permet à la personne de s’adapter au
monde de la meilleure des manières, s’infiltrant dans les problématiques comme
le poisson dans l’eau. La personne est dans une problématique et agit
pratiquement, émotionnellement et "associativement". Je m’explique en
reprenant chaque terme : l’action pratique est l’usage de la logique
déductive que nous connaissons bien ; l’action émotionnelle est ce ressentit
immédiat qui nous plonge dans le réel, dans un bain dont on ne se distingue
pas ; l’action associative est celle où l’on reconnait dans le réel ce qui
nous est connu, l’en distinguant, en remarquant les singularités de l’instant
et en reconstruisant des lectures nouvelles à l’aune de ces singularités
révélées.
Faisons une application pratique
et imaginons qu'un trapéziste, voltigeur au sommet de la toile du chapiteau,
passe son temps à appliquer des calculs et des procédures. Nous ne lui
confirions pas la vie d'un partenaire qui nous serait proche (à quelque niveau
que ce soit). Mais si nous le savons rapide à lire et comprendre les
situations, à investir son expérience dans la relecture en temps réel des
circonstances et conditions de son exercice, à ressentir le réel de la
situation, si nous le savons prompt à tirer les conclusions d'une vision large
et chargée d'histoire et d'expériences analysées, de manière à réagir vite dans
le meilleur des sens d'une éthique qui nous serait proche, alors nous pourrions
dire oui...
Ceci n'hypothèque pas les
postures de solidarité en œuvre çà et là dans notre "vivre ensemble".
Elles relèvent effectivement d'une éthique en harmonie avec des valeurs
vivantes dans une certaine représentation sociale du monde, de soi et des gens.
La solidarité est alors à considérer comme une action individuelle résultant
d'une posture de vie personnelle. Alors sur quoi pouvons-nous agir
intelligemment pour être mieux dans notre monde ? Sur notre posture,
évidemment... et le travail commence par la révision de nos représentations du
monde (notre environnement) et de nous dans ce monde (notre raison d'être), de
nos interactions et interdépendance (le vivant). Quel est ce monde et comment
je le vois ? Qu'est-ce que j'ai à y faire ? Dans l'ordre de quels possibles ?
Répondre à ces trois questions-la, c'est répondre à tous nos problèmes.
Le manager le fait pour lui-même
et tente, dans le meilleur des cas, de le faire pour son organisation. Le
collaborateur en fait autant pour les mêmes bénéficiaires. C'est ce que d'aucun
ont nommé, pour certains, le "coaching cognitif" et que j'appelle
(allons droit au but) la "posturologie". C’est bien elle qui va nous
permettre d'aller plus loin !
Il s'agit, dans cet accompagnement,
de faire appel à l'intelligence réelle de chacun, à la réveiller s'il le faut,
afin que chacun revisite ses représentations, ses visions de soi dans "le
monde", dans "ce" monde. Mais, nous le savons : "la vision
guide nos pas".
Il s'agit alors d'une simple "prise de conscience de soi dans
son environnement". Certes, il n'y a pas qu'une représentation possible,
pas plus qu'il n'existe une seule réponse exacte. Il n'y en a d'ailleurs pas
une seule qui soit la "vraie" représentation. Mais sa déconstruction
et reconstruction nous apportera le bénéfice d'une représentation
alignée avec notre vie, nos valeurs, notre raison d'être. Après, tout
le reste va de soi et notre installation sociale, notre position, coulent de
source... Alors nous irons dans le "bon sens"...
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 13 décembre 2016
*J'appelle "pensées courtes" tous ces raccourcis cognitifs qui réduisent la réalité globale à une situation singulière, une sorte de prêt-à-penser confortable mais très éloignée des réalités du monde. Ce peuvent être : les écossais sont pingres, les juifs sont riches, les auvergnats bon commerçants, les blond intelligents, les petits rusés, etc. Ce sont là autant d'idioties qui nous privent de la conscience du réel. Elles sont en usage populaire pour leur fonction grégaire, comme signes d'appartenance et de résolution de peurs.
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