Il me souvient avoir lu dans un article de la revue "Sciences humaines",
N 283, du 13 juin dernier, ces quelques phrases définitives de réactions ordinaires : "À
quel psy se vouer ? On les vante, on les oublie, on les ressuscite, on les
recycle, on les confronte, on les essaye en cocktails... Les psychothérapies du
21e siècle tiennent du laboratoire ou de la tour de Babel". Elle témoigne
de cette problématique ordinaire actuelle : nous nous pensons à la pointe d'un
progrès, à la flèche d'une évolution et cependant nous n'aurions rien inventé.
Un critique des écoles de management écrivait dans un article scientifique que
depuis Richard Pascale, nous n'avions fait que redire autrement ce qu'il avait déjà écrit, que
rien de nouveau n'était apparu dans la littérature de conseil en matière de
management.
Nombre de méthodes et d'outils du management humaniste actuel semblent
venus des réflexions toutes récentes des universités canadiennes, comme celle
de Laval à Québec. Je pense aux décisions prises sans objections, aux méthodes
d'étude en codéveloppement, ou encore à cette pratique du choix de dirigeants
par leurs futurs managés, etc... Toutes ont une
correspondance lointaine dans l'histoire des sociétés.
Il me souvient, en classe de terminale, de ce texte sur le conflit des
générations que nous avait lu notre professeur de philosophie, nous demandant
de quelle époque il était. L'un de mes frères, philosophe et professeur en
Virginie occidentale, me rappelait très récemment la réponse : "Quand, étudiant, on me l'a donnée à lire, je ne savais
pas que c'était un texte d'Aristote et je le trouvais d'une extrême actualité.
Il se plaignait aussi des changements de mœurs, du saut de culture entre les
adultes et les jeunes, du manque de respect des valeurs et du manque
d'éducation de la génération montante." Dont acte ...
Le prince, rédigé en 1532 par
Machiavel, écrivain et politique florentin, à l'époque où Florence
dominait le monde occidental, est toujours considéré aujourd'hui comme une
analyse fort pertinente des arcanes du pouvoir, de ses couloirs obscurs et de
ses pratiques souterraines. On en disait Mitterrand un fervent
et fidèle adepte.
Toutes les méthodes de coaching actuelles relèvent peu
ou prou de l'approche maïeutique mise en forme par Socrate, cinq siècles avant
notre ère. On sait ces philosophes grecs et arabes d'avant notre ère savoir mettre du sens sur les zones grises de nos pratiques. Depuis chacun ajoute une virgule, un accent, un commentaire, sans en
jamais changer le fond. Cela a été le cas de Carl Rogers à propos
de son approche d'écoute active.
Cependant il est vrai qu'entre Platon dans sa
conception d'une vision limitée de la réalité et l'approche de Schopenhauer d'un
"monde objet pour un sujet qui le regarde", il y a une marge
qualitative. Entre la prophétie auto-réalisatrice de Merton et la
prophétie "réalisante" de Watzlawick, il y a aussi une marge de
différence conséquente. Mais Esope, esclave et philosophe grec, avait déjà
montré, dans sa parabole de la langue, la part conséquente de l'imaginaire et
de la symbolique dans la considération du réel.
En effet, chacun ajoute son commentaire et ses
remarques pour préciser une pensée qui évolue lentement. A l'instar de la
conversation, les auteurs, parfois dans un temps bien différent, échangent des
points de vue et analyses, produisant une dialectique salutaire. Ce que
je crains est une approche marketing effectuant un habillage neuf
pour des concepts et pratiques anciens. Je pense à la démarche de "codéveloppement"
que j'avais connue en 98 sous le nom de la méthode G2P (Groupe de Partage de Projets). Elle avait été édictée par le consultant Gérard Monpin bien des années auparavant. Ces
pratiques renvoient immanquablement à la dynamique de groupe (Kurt Levin) et
aux réputés groupes Balint, groupes d'analyse et de codécision dans
le milieu hospitalier. Il semblerait, d'après une consœur
consultante, que cette approche trouverait des racines
au seizième siècle, et c'est ce que l'on nomme la pratique du consensus. Alors
il faudrait aussi citer Cicéron qui en fut un porteur et théoricien,
la présentant comme une méthode "anti-chaos".
Ce qui va changer au fil du temps, par contre, c'est
la posture, le parangon pour se penser dans le monde. Ainsi, si le corps
social, durant des siècles trouve son modèle dans le corps humain où la tête
(le chef) gouverne et oriente le reste du corps, aujourd'hui, la vision d'un
groupe pluriel fait de multiples représentations, invite au partage de
celles-ci afin de mieux comprendre le réel avant de décider. Or, comme
aujourd'hui, la vision d'un monde mécanique et vertical, celui de la modernité,
reste fortement ancré dans notre culture. Il est bien difficile d'accueillir
d'autres modèles, même "mieux porteurs" ou plus efficients. Il ne s'agit pas
d'efficience, en fait, mais de recevabilité. En effet, il y a pour nous,
occidentaux modernes, l'idée d'un monde nouveau, né avec le siècle des
lumières. Dans sa révolution culturelle scientiste, il ignore toutes les
démarches qui l'ont précédé parce que non scientifiques, et hors de sa doxa. Alors
on y "réinitialise" les concepts. Ainsi, la médecine oublie les pratiques
ancestrales qui nous ont permis de traverser trois cent mille ans d'histoire
pragmatique, et impose une posture de sachant et d’expert tuant les maladies,
abandonnant la part du sujet, et celle du patient, de son système vivant auto-adaptatif
et résistant, etc.
Dans notre monde actuel post-moderne, les vérités
s’associent confusément au désir de pouvoir, de notoriété, de réalisation de soi. Se
développent alors des mots et des noms nouveaux indiquant des pratiques et
connaissances bien antérieures. Des entreprises et associations professionnelles
réinventent l'eau chaude, le fil à couper le beurre et la poudre de
perlimpinpin. Ainsi, à travers des batailles de paternités et de "justes
valeurs" ou "réalités", émergent des combats qui tentent de
régler bien autre chose que la réalité du monde. Dès lors, avons-nous
réellement besoin de tous ces modèles dits nouveaux ? Quelques repèrent ne
suffiraient ils pas à partager la réflexion, comme nous le faisons maintenant,
ici ? Le retour aux sources de la connaissance s'impose à nous en toute sagesse
et simplicité (bien que ce ne soient pas les notions les plus faciles à "vendre" !).
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