« Le monde a bien
changé. Je me demande où l'on va... Plus personne ne respecte plus rien. Où
sont nos vraies valeurs ? » Voici quelques propos ordinaires entendus
çà et là, aussi après les attentats à Paris le treize novembre 2015, ou à
Bruxelles le 22 mars 2016. Oui, la société n'est plus monolithique. Elle
est fractale et la violence ne produit plus la soumission. Ce qui fait
autorité est très incertain. Ce n'est peut-être plus la compétence, ni le
savoir, encore moins l'analyse, mais peut être la séduction du discours. Nous
sommes entrés dans une nouvelle socialisation. C'est sûr, mais qui sommes-nous
dans ce nouveau lien social ? Qui sont ces gens si différents de soi ? Qu'est
ce qui nous fait être ensemble, nous reconnaître ou pas, nous harmoniser
tant bien que mal ?
Comme nous l'avons déjà
regardé, l'identité n'est pas une qualité mais une activité à part entière
où nous passons notre temps à en revisiter, vérifier, renforcer la représentation
(cf. notre article : "Vous avez dit identation ?" *). Dans
cette activité, il y a plusieurs systèmes de constructions identitaires
qui se côtoient et se conjuguent. Ce n'est pas l'objet de l'identité
qui compte. Il est interchangeable, mais la nature de l'identité. Elle se
construit soit justement autour d'un objet, soit autour de l'action, soit
autour de la réputation, et tous trois participent à la socialisation. Les
stratégies et comportements d'acteurs en découlent.
Elle participe de notre
relation au monde : je le pense comme je suis. L'anthropomorphisme n'est pas
qu'une réduction cognitive à soi comme modèle, mais un processus ordinaire de
la connaissance. Pour connaître et comprendre le monde, j'ai besoin de savoir
qui je suis. C'est bien ce qui manque à l'autiste et au schizophrène, lesquels
sont des terrorisés par un monde qu'ils perçoivent inconstant et
incompréhensible.
Voilà donc que s'invite,
et c'est bien normal, la notion d'enjeux, et aussi; d'intérêt. Il y a ce désir
d'être, la sensation d'être et cet être qui nous revient de l'autre, des
autres, en pleine face. Ce sont là les trois dimensions interactives de la
sensation de soi. Elles sont parfois en conflit, parfois en harmonie. Ainsi,
j'investis dans ce rapport à l'autre, que je le craigne ou que j'aie confiance
en lui, cette relation d'interdépendance selon mes préoccupations. Je
ne suis "que de l'autre", mais il n'y a que moi qui m'intéresse in
fine et je ressens aussi que j'ai du pouvoir sur lui, pouvoir d'autorité, de
présence ou de séduction.
A propos de confiance il
nous faut relire Georg Simmel. La confiance apparaît comme une construction
personnelle sur la prédiction. Tant que je peux prévoir, prédire, pressentir ce
qui peut se passer, ou ce que l'autre va faire, j'ai confiance. On parle alors
de "confiance positive" et de "confiance négative" selon
que ce qui est pressenti nous est favorable ou non. Si, dans nos récits
habituels, la confiance est attribuée à l'extérieur de soi (avoir confiance en
l'autre, dans les événements, dans la structure, l'architecture, le temps ou le
climat...), elle est un processus strictement
intérieur, seulement personnel. Elle repose sur des postures, des
représentations et des valeurs propres.
Par contre, la
construction d'une réciprocité (ou pas) de la confiance est une démarche de
communication ordinaire où les acteurs échangent des références (remarques,
représentations, critériums, légendes, valeurs et croyances) qui les rendent
réciproquement prédictibles ou pas (Rodolphe Ghiglione). Je crois que s'ouvre là
un autre champ connexe, celui du désir de confiance. Il relève autant de notre
besoin d'exister dans le regard de l'autre que de rendre sûr et confortable son
environnement, son propre champ relationnel.
Bien des chercheurs avant
nous ont travaillé ce sujet et les conclusions aboutissent à l'identification
de ce processus interne personnel. Toutes les approches périphériques présentes
dans les discours populaires et habituels, comme favoriser la confiance,
relèvent du fantasme, du désir et de la fiction. La confiance de l'autre est un
processus sur lequel nous n'avons pas la main.
Ainsi, cette interaction,
cette réciprocité dans notre construction identitaire permanente, est notre
lien social. Il est investi de rites de reconnaissance, de passage et d'appartenance
qui sont notre socialisation. Nous voyons bien là que l'identation, cette
activité de vérification et de reconstruction de l'image de soi, de la
conscience de soi est à la fois, le facteur et la raison de notre
socialisation. Voilà peut être une bonne raison d'y accorder son attention.
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 5 Avril 2016
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