Au moment où j'écris cet article,
je note qu'il y a plus de sept mille livres sur le management proposés
actuellement à la vente en France. Les uns présentent des méthodes et
théories du management des personnes et des projets, d’autres quelques simples
trucs et astuces, d’autres encore font la démonstration de démarches particulières
à l’appui d’études et monographies. Elles tentent de montrer par l’exemple des
évolutions plus ou moins marquantes. A parcourir ces ouvrages, on comprend que
les théories sont diverses, que des courants surgissent et disparaissent,
faisant un temps une certaine unanimité. Plus tard c’est une autre approche qui
prend le dessus. Elles ont chacune leurs périodes de vérité et de désaveux. La
question du management fait toujours polémique et les théories s'affrontent,
émergent et même parfois se contredisent.
Mais peut-être n’avons-nous
jamais touché à l’essentiel ! Aujourd’hui, les courants que l’on peut
qualifier de « démocratie en entreprise » font une percée. Ils sont
l’objet d’attentions et de colloques. Mais qu’en est-il réellement sur le
terrain de la majorité des entreprises et institutions dont on ne parle pas ?
Que s’y passe-t-il vraiment ? Nombre de sociologues cliniciens, comme
Vincent de Gauléjac, s’y intéressent de près. Ils apportent un éclairage
systémique dénué de parti pris ou d’intérêts privés, sinon que de donner à
voir. Leur approche conceptuelle nous est utile.
Les managers sont les premiers
lecteurs de ces ouvrages, les seconds étant les consultants. Majoritairement, ils sont, comme vis-à-vis du conseil, à la recherche de solutions, de
réponses, de trucs et astuces dont ils feront ou pas usage. Il me semble que le
juge de paix est là, sur le terrain. Mais lire le terrain demande aussi
quelques modèles, quelques concepts, quelques grilles que tentent d’apporter
avec plus ou moins de bonheur ces ouvrages. Ce que toutes ces approches nous
indiquent est que, d’une part, les théories sont étroitement liées aux airs du
temps sociétaux, à l’évolution des cultures, et d’autre part qu’il n’y a
vraiment jamais grand-chose de nouveau sous le soleil, que les poncifs croisent
les redites et nombre de reformulation adaptatives. Peut-être tournons-nous
autour du pot ? J’ai lu de la plume d’un confrère que rien n’aurait été
proposé de nouveau depuis Richard Pascale, à la fin des années quatre-vingt, et
son introduction de notions psychanalytiques dans la vie et le management des
organisations. C’est un point de vue qui interpelle et s’ajoute au débat. Cependant,
comme toute chose, le management a des racines profondes dans l’histoire qui
alimentent encore « la vie de la plante ».
Mais de fait, ce que l’on craint
dans une organisation, c’est bien que les gens ne travaillent pas ou fassent
mal, et les managers souhaitent s’en occuper parce que c’est leur job, et s’ils
sont patron, leur intérêt. Ils savent, consciemment ou a priori, que leur
fonction est là. Mais, s’il est clair que les jeux d’acteurs, les divergences
d’intérêts, les disparités dans les visions de l’institution et des missions ont
les incidences que l’on connait sur les fonctionnements, nous nous intéressons
trop peu aux causes qui produisent ou pérennisent ces disparités. Or, il me
semble que c’est là le nœud des problèmes : comprendre la nature des
disparités de postures des acteurs et agir sur les causes plutôt qu’avec force
et autorité sur les conséquences que sont les absences de motivation,
d’obéissance ou d’intelligence.
Un
historique prégnant
De fait, la question de la
structuration du commandement des personnes à l'action est apparue avec les
guerres autrichiennes du milieu du dix-huitième siècle. Jusque-là,
l'idée était commune que le commandement relevait de qualités
personnelles d’autorités. C'est toujours un lieu commun aujourd'hui.
Le modèle organisationnel de
production moyenâgeux, de type artisanal, reposait sur la compétence, la primauté
de l'œuvre et la transmission. Le secret professionnel était un
ensemble de méthodes de fabrication, des "comment s'y prendre", des
résolutions ingénieuses de complexités. Elles sont toujours valides aujourd’hui.
L'autorité résidait donc dans le savoir-faire et les métiers (corporations)
protégeaient autant leurs méthodes que le corps de ceux qui les détenaient. Il
s'agissait là d'une solidarité professionnelle de tradition et de valeurs
(système identitaire) et non de communions d'intérêts économiques, d'où l'affrontement
de chapelles rivales. On connait celles emblématiques, au dix-huitième, entre
les compagnons du devoir et ceux du devoir de liberté, fidèles à
Maître Jacques ou au Père Soubise.
Cette autorité par la compétence
existe encore dans les milieux ouvriers, techniques ou populaires. Nous en
conservons des traces fortes dans les services administratifs de la fonction
publique et c'est encore ainsi que se construisent et vivent nombre de PME
autour d'un "maître" patron.
Avant cela, quelques ouvrages
célèbres, comme "Le prince" de Machiavel ou "L'art de la
guerre" de Sun Tsu, ont marqué par leur pragmatisme. Ils privilégiaient
des postures et des points de vue guidant l'action, favorisant l'efficacité.
L'efficacité était bien le maître mot de ce commandement des hommes et
des projets.
Cependant, la première école
occidentale de commandement (puis de management) semble être l'école militaire
de Paris fondée par le Maréchal de Saxe pour Louis XIV. Elle prendra sa réelle
envergure et ouverture sous Napoléon III. Avec l'industrialisation,
c'est à dire la motorisation des matériels de travail, vont commencer à exister
les grandes unités de production. Elles marqueront une rupture historique
d’avec le modèle corporatiste artisanal moyenâgeux et l'émergence d'une nécessité
nouvelle de commandement des gens qui sera empruntée à ces commandements
militaires, le seul précédent un tant soit peu structuré et faisant
autorité en la matière.
Tout d'abord influencées par les
principes d’ingénierie, les méthodes de commandement et d'organisation du
travail vont reposer sur une approche technique. Sans prendre en compte les
raisons de comportements humains discordants, on pensera diriger et commander
sur des principes mécanistes, de rapports de masses, de tailles et de poids. C'est
la culture de l’encyclopédie. La résistance des socialistes de l'époque se
fera donc sur l'opposition des masses et les rapports de force, à l'instar des
guerres militaires, d’où la lutte des classes. L'organisation scientifique
du travail sera la première école de management, aujourd'hui dite
classique. Les Taylors, Fayol et Weber en seront considérés
les théoriciens fondateurs. Cette école connaîtra un fort
développement durant tout le début du vingtième siècle. Ses principes
colorent encore nombre de démarches actuelles.
Juste avant la seconde guerre
mondiale, un courant humaniste venu du débat politique viendra influencer la
lecture des organisations. Les travaux d'Elton Mayo aux états unis viendront
lui apporter ses concepts et ses premiers principes. Ce seront les travaux de
Maurice Halbwachs sur la mémoire, les réflexions humanistes d'Einstein,
l'humain au cœur de la dynamique sociétale et l'arrivée du front
populaire. Cette école de management, dite humaniste, colore toujours les
pratiques actuelles. Ce qui distingue ces deux écoles est leurs visions
disparates de ce qu’est l’humain, « l’homme au travail ».
Après le pouvoir des ingénieurs,
puis celui de ceux que l'on appellera les dirigeants des ressources
humaines, ce sont les financiers qui vont prendre le pouvoir dès la crise
pétrolière de 74 avec le risque de raréfaction des ressources. Avec ladite
école contingentiste du management, ce sont les comptables et les
gestionnaires qui vont, dès le début des années quatre-vingt prendre le pouvoir
dans les organisations. C'est ce courant-là qui se renforce aujourd'hui.
On remarquera alors qu'aucune
école n'a vraiment jamais eu raison toute seule mais que l'articulation des
principes permet une approche pragmatique très ouverte. On remarque aussi que
chacun de ces principes faisant école n'a jamais évacué aucun autre le
précédant, que chacun a une rémanence profonde sur la vie de nos organisations
encore aujourd'hui, que l'étude du management n'est pas à la recherche du
modèle idéal, du paradigme supérieur, mais de comprendre comment cet ensemble
sous influences multiples évolue en fait si lentement, sans révolutions.
Comment faire travailler les gens ensemble dans la même direction ? A chaque
soubresaut prédisant le grand chambardement, les mêmes variables
resurgissent et s'accordent au mieux autrement. On découvre alors
l'approche systémique issue des travaux de l'école psychosociale de Palo
Alto. Elle viendra ouvrir encore plus les connaissances et
l'intelligence du management. Elle apportera de nouveaux angles de vue, de
considération des dynamiques organisationnelles. Elle fera émerger de nouveaux
concepts, leurs articulations complexes et leurs interdépendances. Le sujet
sera toujours complexe, flou et mal abouti. Voilà pourquoi j'ai fait ce trop court
rappel historique avec cet angle systémique.
Ainsi donc, pour poursuivre cette
approche compréhensive du management des personnes et des projets, je vous
propose que nous considérions quatorze concepts* dont la
réalité traverse l'histoire humaine et qui ont accompagné et accompagnent
encore le management des organisations. Nous allons tenter de voir leur
incidence sur l'évolution de la dynamique des organisations, leur profonde
réalité actuelle et leur réelle puissance. Nous piocherons quelques exemples
dans les organisations territoriales, relevés au cours d'une longue observation
de terrain. Si des conclusions apparaissent, elles s'imposeront alors
d'elle-même.
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 19 janvier 2016
à suivre la semaine prochaine : Management 2 - Logiques de territoire, de l'oeuvre et de pouvoir
* D'autres
concept utiles sont abordés et traités dans l'article : "Mieux
comprendre l'impact de la réforme territoriale sur le comportement des
agents"
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