Nous avons l'habitude de regarder les
enfants grandir, de les imaginer même dans leur avenir, de les voir en devenir. Parfois maladroitement, nous espérons pour eux et projetons avec imagination. Nous nous en sentons responsable. Nous pensons qu'il est de notre devoir de les
accompagner, de leur montrer le chemin, d'éclairer leurs pas et leurs marches.
Quand nous regardons en arrière, notre regard dans leurs yeux, nous comprenons
que la vue d'un enfant est différente de la notre, plus étroite et plus immédiate. Une heure pour eux a l'importance d'un jour ou plus pour nous. Quand ils sont dans l'instant présent, nous préparons le temps qui suit, voire plus loin, le voyage de l'été prochain, le projet de dans deux ans. Ce qui nous semble faire
la différence d'avec leurs regards est la
hauteur de vue que l'intelligence de nos expériences à construite. Nous voyons
plus loin depuis plus haut, un peut comme le fait la vigie portée en haut du mat, les yeux sur l'horizon. En bas, travaillant sur le pont,
les matelots attendent avec confiance la criée de ses annonces. La vigie sait puisqu'elle est bien positionnée pour voir loin. Et puis, elle a l'habitude...
Les
enfants nous regardent ainsi et nous questionnent. Quand
ils arrêtent de le faire, soit ils partagent dès lors
avec nous et nous savons qu'ils ont grandi, soit ils s'isolent, se coupent
de nous et nous nous inquiétons. Nous le faisons parce que
nous somme vigie, que nous voyons loin, que nous comprenons qu'il
se passe quelque chose.
Le sage voit plus loin encore que le
commun des adultes. Comme des enfants auprès de lui, nous l'interrogeons pour obtenir un
peu des résultats de son regard, un jugement, une appréciation, une vision plus
haute, une conception plus élaborée, une conclusion plus sûre.
Mais pour obtenir ce rapport-là, il nous
faut reconnaître l'autre et savoir qui nous sommes nous-même par devers lui.
C'est à dire que nous devons savoir s'il est un enfant ou un sage, si nous
sommes un adulte ou un enfant dans la relation. Nous ne le saurons que si nous nous
regardons ensemble, que si nous avons cette conscience de nous, la conscience de cette
relation, de nos rôles et fonctions, mais aussi de l'infinitude du champ de notre environnement. C'est bien ce que ne fait pas l'enfant qui se détourne, s'isole.
Peut-être
se voit-ils comme le monde de la consommation nous regarde et nous
invite à être : un centre du monde, le hub de tout. Dès lors,
cet individu n'a pas à s'adapter à son environnement : c'est le monde
qui doit s'adapter à lui. Ainsi, il y a ce que l'individu a et
ce qui lui manque et ce ne sont ni des connaissances, ni des
compétences, mais simplement des choses et des objets. Ce sont alors ses
propriétés qui le définissent, pas ses caractéristiques. Il se
pense fini, définitif et abouti. C'est pour cela que, si son rapport
au monde est insatisfaisant ou difficile, il faut alors changer le
monde. Voilà pourquoi nous nous inquiétons et nous avons bien
raison de le faire.
Mais si l'enfant se pense inachevé, sur le
chemin du développement, en voie de grandissement, de perfectionnement dans un monde à toujours mieux comprendre, alors
il se rapproche de l'adulte, de celui qu'il pense référent, et tente d'en
acquérir un brin de regard avec les éléments qui font sa connaissance. "Tu vois cette
plante ?" me disait le vieil Adrien, paysan ami de mon père. "Elle va
t'enlever tes verrues... Vas la cueillir !", et j'y allais, la cueillais
et la lui ramenais. Pourquoi, ne pas la garder ? Parce qu'implicitement le
vieil Adrien m'indiquait qu'il savait quoi en faire et que si j'allais la
chercher c'était pour en faire quelque chose que je ne savais pas... La
relation est bâtie sur la reconnaissance réciproque. Le vieil Adrien me savait
affecté par les vingt et une verrues sur mes mains (je les avais comptées). Il savait sa connaissance
supérieure à la mienne et utile pour moi. Il le savait de par notre connaissance et reconnaissance réciproque, nos positions
sociétales respectives : j'avais une dizaine d'années et lui plusieurs multiples de moi. Si la valeur n'attend pas le nombre des années, la connaissance, oui.
Nous sommes vis à vis du sage dans la même
posture. Notre société consumériste ne le sait plus, mais
ceux d'entre nous qui privilégient l'usage à la possession recommencent à l'apercevoir. Dans une société de l'usage, alternante culturelle, le savoir-faire et le savoir être se
combinent, voire se confondent jusqu'à l'accomplissement : le sage est celui
qui sait le mieux faire quelque chose de son environnement. Il y vit et y est
comme un poisson dans l'eau. Il y est en relation d'intelligence. Si
aujourd'hui nous parlons d'écologie, c'est bien parce que ce rapport ordinaire
et obligatoire à l'environnement nous a quitté. C'est quand il y a
longtemps que nous n'avons pas mangé que nous parlons du risque d'avoir faim. Pas
avant...
Ainsi, pour que l'enfant reconnaisse
l'adulte et l'adulte reconnaisse le sage, il faut à chacun la conscience de sa
relation à son environnement, à savoir que sa finalité est de s'adapter à son
environnement et pas l'inverse. Les aspérités du monde sont alors des paris, pas des "emmerdements".
Regardons un instant dans le lointain
passé de l'humanité. Il y a plusieurs milliers d'années, chaque personne
humaine gérait et organisait son processus vital. Elle savait récolter les
plantes et les graines, les chauffer pour les meuler, en cuire la farine
transformée en patte avec un peu d'eau ou de lait. Tous et chacun savait
le faire. Tous et chacun savait construire ses outils et s'en servir, se
projeter sur l'avenir et donc récolter, voire semer pour ça. Tous savaient
construire un abri et toutes choses utiles à vivre mieux. Tous
savaient l'importance d'être ensemble.
Mais aujourd'hui, sans
électricité ni supermarchés, nous mourons de faim et de froid en quelques
jours. Sans nos Smartphones, nos PC, nos tablettes, nos véhicules à
moteurs, nos congélateurs et micro-ondes, sans toutes nos prothèses,
nous sommes incapables de vivre, de survivre, et nous hurlons
de colère dès que nous les perdons, dès que nous en somme éloignés ou
privés... Voilà pourquoi nous ne savons plus reconnaître les sages,
comme ce vieil Adrien, parti dans sa tombe avec toute la bibliothèque
qu'il avait dans la tête et le cœur.
Notre société de consommation a fait de
nous des frustrés, des handicapés du corps, de l'intelligence et de
l'âme. A la moindre hypothèse d'un monde facile et meilleur quelque part, nous y
allons comme les papillons vers la lampe électrique qui finit par
les brûler. Hallucinogènes chimiques, extrêmes boutefeu ou djihadiques, sont les lampes
électriques de nous-autres papillons, malvoyants de
l'esprit, de l'âme et du cœur.
Pour reconnaître le sage et
reprendre la route de liberté et d'autonomie, il faudra recommencer
à comprendre que nous sommes en interaction avec notre environnement, que
nous sommes de cet environnement, pas dépendant mais "appartenants".
C'est, me semble-t-il, le premier pas que nous avons à faire et à faire
faire à nos proches sur le chemin de la sagesse et de la survie.
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 8 décembre 2015
Et lire encore : " Le conseil cognitif, un coaching de coévolution "
Et lire encore : " Le conseil cognitif, un coaching de coévolution "
P.S. dernière minute : Du désistement électoral
J’entends qu’un parti décide de
retirer ses listes pour éviter l’élection de listes extrêmes. Je comprends cette logique qui me
rappelle celle du loup pris au piège : il préfère se couper la patte que de rester piégé et mourir sur place. Mais quand entre amis ou collègues, nous imaginons un projet
qui nous concerne tous, nous ouvrons le débat. Si une proposition nous semble
inacceptable, moralement irrecevable, nous savons que le débat la tranchera.
Nous savons que chacun apportera sa
pierre et sa réflexion, même si c'est difficile. C’est ça l’humanisme : avoir confiance dans les gens.
Il y a donc une différence entre la
logique du loup et celle du groupe humain. Comme le loup, on traite seul et radicalement son
rapport aux choses et à l’environnement hostile (agressivité, fuite et manipulations y sont utiles). Mais, dans les problématiques de groupes humains, ça ne marche pas. On traite alors ensemble, en
confiance des acteurs, avec assertivité.
Retirer ses listes pour
éviter l’arrivée au pouvoir de groupes extrêmes revient à considérer
l’électorat comme de la matière, un piège à loup, et non comme des personnes,
porteuses d'une intelligence et d'un regard singulier. C’est peut-être là un
dés-humanisme irrespectueux. Nous le paierons par plus de désaffection
politique, par cet "aller voir ailleurs" que nous constatons déjà,
par davantage d’abstentions aux prochaines élections, etc. Nous paierons, c’est
sûr.
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