L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

La bienveillance éthique

Je suis arrivé de ma province occitane montalbanaise à Paris en février 75. Comme tout bon francilien, j'ai pris les transports en commun. J'avoue qu'il me semble qu'à cette époque là il y avait moins de véhicules dans les rues, un peu moins de circulation et que les usagers du métro étaient moins bousculés. Tous les matins, en entrant dans le métro, je lançais un habituel et normal :"Bonjour, messieurs-dames..." qui n'obtenait en réponse que quelques regards suspicieux. J'en étais quelque peu choqué, trop habitué que j'étais à ce rituel de reconnaissance ordinaire dans ma terre d'origine

Un jour, je vis, qui marchaient devant moi dans le couloir d'accès aux portillons, quatre jeunes hommes en costume et attachés-cases. De loin je les voyais tenter en vain de faire fonctionner ces maudits tourniquets à coup de billets réguliers. Peut être lassés par ces tentatives infructueuses, je les vis rire et sauter allègrement par dessus. Je me dis alors que les parisiens n'étaient pas tous râleurs invétérés, que certains avaient aussi ce détachement utile, cette distance qui rend les aspérités de la vie moins difficiles. Le fait est qu'arrivé dans le compartiment du métro, ils étaient là, tout sourire en train de blaguer doucement. Il me sembla que leur accent n'était pas bien parisien. Je leur demandais alors : "Vous êtes d'où ?". ils me dirent "...de Montauban". J'en retirai une certaine jubilation, voire une certaine fierté. Et nous avons blagué ensemble le temps de couvrir quelques stations.
Ce silence "mortel" qui enveloppe le voyageur du métro me surprend toujours. Oui, le silence tue. Il me prend encore de tenter d'échanger quelques sourires... J'avoue la tâche aussi osée qu'infructueuse. Les premiers temps, habitué à m'orienter dans ma campagne à l'aide des points cardinaux, la première chose que je demandai à la première personne à ma portée, en sortant du métro, cette "lessiveuse-à-sens-de-l'orientation", était : "Pardon, s'il vous plait, le nord, c'est où ?". Je reconnais que je ne voyais pas dans le regard de ces passants une réelle incrédulité, mais quelque chose de l'interrogation suspecte.
Bien sûr, je n'ai pas ici l'intention de faire un portrait critique du parisien type, je n'y parviendrai pas, ou alors, à force de tricheries incertaines qui ne m’appartiennent pas. Je voudrais juste, à l'aune de cette différence culturelle que j'avais vécue à l'époque, marquer combien notre socialité est particulière. Alors que "l'être ensemble" se fonde sur le rapport de rencontres, je croisais des gens "seuls ensemble", une assemblée de solitudes, d'isolements volontaires... Alors que le lien social appelle à la rencontre, à l'accueil et à la reconnaissance mutuelle, on constate que le cœur de ce lien social est de garantir à chacun sa possible solitude (Sébastian Roché*). On se rend compte que ce qui est prisé et garanti dans ce lien social si singulier c'est l'espace, le territoire.
Après une journée de travail où la personne défend son espace de travail, elle va rejoindre son espace d'intimité privé, son "chez soi", en passant par des espaces de déplacement ou de voyage dans le métro et le RER. Ce que la personne défend, c'est que quiconque n'y vienne bousculer ou réduire son intégralité spatiale, la déranger, déranger sa solitude comme si son intégrité personnelle en dépendait. Ceci me fait penser à une sorte de guerre de chacun contre tous, où chacun est menacé de la présence de quelconques autres.
Je serais plus enclin à penser que le lien social est l'association des "quiconques", leur rencontre vertueuse et productive, si non reproductive...
Il y a de la barbarie dans ce mode d'être ensemble et le combat de chacun pour détruire l'Autre. L'Autre qui gène parce qu'il est là, seulement là. Il n'y a, à vrai dire, plus de lien social mais du combat, de la guerre totale et globale. Combattre l'incivilité revient alors à combattre la barbarie, et dans le mot "barbare" il y a cette notion d'absence de civilisation, de "hors société", "d'associalité".
Ma fille m’interroge : "Et s'il ne s'agissait que d'un trop de présence, que d'un trop de discordance de regard, un pluriel qui agace, qui énerve par saturation ?" Les cailloux du chemin ne présentent aucune autonomie individuelle, de pensée ni d'action. Ils n'opposent donc rien de bouillonnant, d'exalté, de frénétique ou d'ardent. Mais autant de gens, pourtant sensés penser de manière autonome et singulière, c'est sûr que ça bouscule, même hypothétiquement, le Landerneau des pensées communes. Trop d'effervescence donne le tournis, le vertige. C'est vrai...
Alors si le désir d'étonnement, d'émerveillement, de surprises m'habite, ils peuvent être aussi nombreux qu'ils veulent, ces personnages effervescents. Si c'est la constante stabilité des aperçus, le repos des émotions, la quiétude cérébrale d'un étang au petit matin qui habitent mes intentions, mes attendus, alors un seul autre me dérange comme un petit caillou dans l'étang, provoquant des rides circulaires jusqu'au bord le plus lointain.
Et pourtant la sagesse grecque nous a enseigné au travers de discours de ses sages philosophes que du débat naît la lumière. Le lisse, le constant ne donne rien. Le rugueux, le freinant, l'effervescent produit les étincelles de l'intelligence. C'est de la confrontation qu'elle nait, s'éveille et se développe. Nous prétendons tous avoir notre lot parmi les meilleurs, et pourtant, nous sommes toujours l'idiot d'un autre, parfois l'invité surprise à dîner...
Si le lien social n'est que cette vacuité stérile, l'humanité aura disparu avant que la planète ne soit chaude. Il n'y a pas plus vide qu'un espace et c'est de cette vacuité qu'il existe. Alors la guerre totale de chacun contre tous et de tous contre chacun habite(ra) notre dynamique sociale.
Mais si le lien social est la somme des rencontres fertiles, des accueils de différences émerveillantes et bousculantes, alors, au lieu de voir se propager les comportements d’indifférences tristes et peureuses, nous verrons se développer de la bienveillance savoureuse comme des bonbons d'humanité. Cette bienveillance repose sur l'idée qu'au lieu d'être tous contre tous, nous sommes tous avec tous. Ainsi, quand j'entre dans le métro et que je propose un "Bonjour, Monsieur-Dames", j'aimerais tant alors entendre ce "Bonjour" simple, ce retour qui confirme que l'on est visible et que l'on s'est vus...
Il se trouve qu'alors la bienveillance devient une valeur sociale, une éthique de comportements, une condition indispensable du marché fructueux de l'être ensemble. A repenser vivement.

Jean-Marc SAURET
Publié le 20 octobre 2015

* Sébastian ROCHE, La théorie de "La Vitre Cassée" en France, incivilités et désordre en public, Revue Française de science politique, N° 3, 2000,  p.387 - 412

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