A l'occasion du cinquantenaire d'une
l'excellente chaîne de radiophonie, une journaliste de talent, enseignante en
journalisme, disait son point de vue sur l'essentiel dans la pratique de
l'interview. Elle disait que les médecins, les policiers, les avocats, avaient
élaboré des protocoles de l'interview dans leurs propres métiers et que cette
démarche n'existait pas vraiment en journalisme. Elle montra et expliqua avec
conviction que le premier outil de l'interview était l'écoute. Souvent les
jeunes journalistes, préoccupés par la question qu'ils ont à poser, par leur
fil conducteur, en oubliaient de saisir ce qui était servi là par
l'interlocuteur, et rataient des perles qu'ils ne savaient donc pas révéler,
développer, exploiter.
Il
y a quelques jours, je participais à l'animation d'un séminaire des managers
d'une institution. L'objet était de faire émerger des axes de travail pour
développer en pratique la politique managériale de la maison. Six thèmes, comme
autant d'angles d'approche, constituaient des groupes de réflexion et de
travail. Ce qu'ont favorisé les animateurs de ces groupes, à travers la
pratique de pédagogies actives, est l'émergence d'idées innovantes.
Globalement tous les groupes ont bien marché car, comme le disaient leurs
animateurs, "nous étions polarisé sur ce que disaient les participants,
pas sur ce que nous avions préparé" et certains ont changé leurs
approches, leur programme, au cours de l'animation, suivant ce qu'était en
train de vivre le groupe.
Un
linguiste faisait remarquer lors de la présentation de son étude, la différence d'usage de vocabulaire par les enfants dans
différents milieux sociaux. Il avait constaté que les jeunes
enfants avaient une forte tendance à s'exprimer de façon lapidaire,
plus pour dire que pour être compris, comme s'ils se parlaient à
eux même. Cela pouvait donner des récits du type : "alors
le maître, il a dit qu'il avait vu la dame. Elle était triste
mais la forêt elle est grande et le monsieur il était pas
content quand elle est partie..."
Dans
les milieux où, par bienveillance ou pour toute autre bonne raison,
on faisait comme si l'on avait compris, sanctionnant par un "C'est
bien ! Super ! Tu peux aller allumer la télé..." l'enfant ne
développait pas de richesse de langage. Par contre, dans les milieux
où l'adulte, à l'écoute active, demandait : "Je n'ai pas bien
compris. Tu peux m'expliquer qui sont cette dame et ce monsieur,
qu'est ce qu'il s'est passé ?", les enfants étaient là
confrontés à une obligation d'être compris et donc amenés à parler pour ça. Tout en développant alors une richesse
d'expression et de vocabulaire, ils développaient aussi, d'une part, un
sentiment de mieux exister pour l'interlocuteur, un sentiment de
responsabilité de leur propre expression et, d'autre part, celui de la réalité de
l'écoute. Là aussi, l'écoute réelle s'impose comme l'outil
de développement par excellence.
Il
me revient ces récriminations de manifestants à propos de leurs
patrons ou du gouvernement, du type : "Ils ne nous ont pas
entendu ! Ils ne nous ont pas écouté..." Combien de projets, de missions,
d'actions dérapent, partent en vrille, comme l'on dit, sur le
simple fait d'une écoute sélective déterminée par les
préoccupations particulières. La réciproque est tout à
fait vraie aussi quand des patrons ou membres d'institutions disent :
"On leur a fait des propositions, on a ouvert des possibilités
mais ils n'ont rien entendu..."
Effectivement
l'écoute est le premier outil d'une relation de qualité. Combien
de fois avons nous entendu réclamée cette écoute de la part
d'interlocuteurs, partenaires, cadres, clients, fournisseurs, etc.
?... Que ce soit dans une relation professionnelle, personnelle,
intime ou passagère, la qualité de l'écoute se pose là comme un
incontournable. Avec cette évolution d'une société fractale, où la
diversité des regards et des opinions, des points de vue, se
multiplie, l'écoute est bien devenue une exigeante nécessité, une obligation.
La
théorie de la communication Paloaltienne de Jacobson a bien montré
que nos intentions de dire, tout comme notre écoute, sont passées au filtre
de nos préoccupations. Nous connaissons bien ce jeu d'enfant où le
questionneur fait dire, en montrant plusieurs objets blancs, la
couleur de ceux ci. Quand le questionneur demande ensuite "Que
boit la vache ?", la réponse ultra majoritaire est : "Du
lait..." à la place de l'eau. Effectivement l'association "Vache-Boire-Blanc"
donne bien le lait... C'est ce que nous appelons "l'effet premier".
Notre
cerveau fonctionne bien de manière symbolique (par association) même
si nous l'utilisons prioritairement de manière rationnelle et
déductive (cerveau gauche, par exemple). Quand nous entendons (plus
que nous écoutons), nous gardons en tête ce que nous voulons
atteindre sans plus jamais nous rendre compte que dans le discours de
l'autre se trouvent plein de richesses et d'opportunités nouvelles...
Alors, en terme de management (ou dans nos autres
activités), si nous commencions par l'écoute de l'autre, c'est à dire par comprendre ce qu'il nous dit, d'où il nous le dit et pourquoi il le fait, peut
être aurons nous davantage de solutions, d'innovations, plus de sentiments de
liberté, d'existence partagés, plus de bien être là. Dites moi, quand
pourrions nous commencer ?...
Jean-Marc
SAURET
Jeudi 19
décembre 2013
Lire aussi : "Le pouvoir n'est pas la sagesse"
L
Difficile de réellement écouter! Chacun étant plus occupé à être entendu en faisant le plus de bruit possible! On essaie malgré tout chaque jour en classe d'apprendre à écouter l'autre. Mais comme tule dis quand des adultes n'écoutent pas leur enfant celui-ci étant renvoyé à sa télé il st persuadé que ce qu'il a dit est un bon message malgré ses erreurs de sens. Et il en est ainsi également avec les adultes qui balaient d'une vague réponse le message que l'autre lui disait! Savoir écouter n'est pas donné à tout le monde mais cela se travaille! Alors oui quand commence t-on? Merci pour cet article! Amitiés.
RépondreSupprimerC'est toujours gagnant pour un cadre dirigeant d'écouter les agents, surtout ceux qui sont loin dans le maillage hiérarchique. Le premier problème, c'est la patience parce que généralement il faut au moins attendre la 3ème rencontre pour que l'agent accepte de parler vraiment de ce qu'il sait et qu'il est souvent le seul à vraiment bien savoir : le temps de savoir qui est ce DGS, le temps de dire sa colère de ne jamais avoir été entendu et de jauger la motivation de ce chef lointain qui tout d'un coup s'intéresserait, et à la 3ème rencontre, si tout va bien avec un mûrissement suffisant pour chaque étape, l'échange sur la compréhension des choses peut commencer... J'adore ça, le travail réellement productif sur le processus et ses bugs commence !
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