L'Humain au cœur et la force du vivant : "Ce n'est ni le monde ni ce que nous y sommes ou y faisons qui nous font peur, mais l'idée que l'on s'en fait, car la vision guide nos pas. Et sur cela, nous avons la main. C'est là toute notre puissance et toute ma pensée ! " (JMS) Aller plus haut, plus loin, est le rêve de tout un chacun, comme des "Icares" de la connaissance. Seuls ou ensemble, nous visons à trouver un monde meilleur, plus dynamique et plus humain, où l'on vit bien, progresse et œuvre mieux. Il nous faut comprendre et le dire pour agir. Si vous êtes désireux d'accomplissement personnel, ce blog est pour vous. Fouillez dans ces plus de 500 articles ! Commentez ! Partagez ! Si ces contenus vous intéressent, le droit de copie, même partiel, est sous Licence Creative Commons : chacun est donc libre de les reproduire, de les citer comme il le souhaite, à l'expresse condition d'en citer chaque fois la source et de n'en faire pas commerce.

Post modernité et alternation culturelle : 2 - Le temps d’après

Michel MAFFESOLI, dans l’ensemble de ses nombreux ouvrages, témoigne de la vision d’une Post modernité comme le temps futur et déjà là. Il se caractérise par l’effondrement des finalités du monde, des raisons d’être à long terme de l’humanité et de chacun. Là où la modernité posait la raison comme fondement de la connaissance, la post modernité pose l’émotion. Là où la modernité posait le progrès, issu de la science construite dans la raison, la post modernité évacue l’hypothèse de progrès et se pense dans un ici et un maintenant. Fini les finalités lointaines, les lendemains qui chanterons, le fameux temps des cerises. Là où la modernité pensait la verticalité de la société fondée sur la connaissance, la post modernité pense des tribus rassemblées sur des émotions, des envies partagées, des informations. Là où la modernité pensait la permanence, la post modernité oppose le zapping et l’impermanent. Là où la modernité pensait des identités diachroniques ancrées dans le nom et l’histoire, la post modernité oppose les principes de liance, déliance et reliances des acteurs aux multiples appartenances groupales sur des modes de consommation.

Hélène RICHARD ne déconstruit pas cette approche du sociologue français. La psychologue et psychanalyste canadienne pense cette post modernité comme un entre deux avant le temps qui vient. Elle pense la post modernité à l’instar de la renaissance, fermant la période gnostique du moyen age, avant que n’apparaisse la modernité rationnelle. Pour elle, ce temps d’après a déjà ses ancrages dans l’actuel et le quotidien. Il nous appartient de les lire pour comprendre ce temps qui vient.
L'ultra consommation, fondée sur la vision darwinienne, quelque peu détournée, de la dévoration et de la prédation, regarde l’humain comme une mécanique de consommation. Elle installe le moyen, ses moyens (le confort, manger, boire et dormir), en lieu et place de l'objectif d’être là qui ne s’épuise pas dans l’organisation du processus vital mais aussi, voire essentiellement, dans le lien social.
Nous avons quelques indications à penser que l'objectif et l’essentiel de l'humain sont son lien social, son être ensemble, son inscription dans le langage et son système de reconnaissance mutuel dans le champ social, allant jusqu'à la construction des identités groupales et personnelles.


Hérodote nous rapporte, au 5ème siècle avant notre ère, qu'un pharaon, désirant découvrir le langage « originel » que les enfants devraient parler spontanément, avait tenté une étrange expérience. Pour connaître quelle était la "langue première" de l'humanité, on prit donc deux nouveau-nés à leurs parents et on les confia à un berger pour qu'il les éleva avec ses chèvres. Le pharaon avait ordonné que personne ne leur dise un mot et qu'ils vivent dans une cabane isolée du monde extérieur. Au moment voulu, ils devaient être allaités par les chèvres et ils devaient recevoir tous les soins dont ils auraient besoin. Malheureusement, Hérodote ne nous dit rien sur les résultats de cette curieuse expérience.
Quelques temps plus tard, au treizième siècle, l'empereur de Prusse Frédéric II de Hohenstaufen chercha lui aussi à attraper le sabir originel. Il renoua donc avec « l’expérience interdite » renommée pour l’occasion par ses contemporains "Stupor Mondi" (la merveille du monde). L’empereur voulait entendre quelle sorte de langage et quelle façon de parler adopteraient des enfants élevés sans jamais parler à personne. « Aussi - écrivait le moine franciscain Salimbene dans ses chroniques - demanda-t-il à des nourrices d'élever les enfants, de les baigner, de les laver, mais en aucune façon de babiller avec eux ou de leur parler, car il voulait savoir s'ils parleraient l'hébreu, le plus ancien des langages, ou le grec, ou le latin, ou l'arabe, ou peut-être encore le langage des parents dont ils étaient issus… Mais il œuvra pour rien, car tous les enfants moururent... En effet, ils ne pouvaient pas survivre sans les visages souriants, les caresses et les paroles pleines d'amour de leurs nourrices ».

De nombreuses autres personnes au court des premiers siècles ont tenté de trouver la langue originelle de l'Homme comme l'égyptien Psammetichus ou James IV d'Écosse ou encore l'empereur moghol Akbar, et cette courte liste n’est pas exhaustive. Ceci nous indique que l’essentiel de l’humain vérifié durant des siècles est son "être ensemble", sa socialisation autour de l’être de langage, loin de la satisfaction des besoins vitaux ou de la réduction des contraintes environnementales.
Nombre de travaux depuis Piaget indiquent ce temps de socialisation primaire dont bénéficient les tout jeunes enfants au contact de leur entourage, temps déterminant pour leur sensation de soi et leur construction. Sans jamais renouveler « l’expérience interdite », nombre de travaux récents indique l’impact de la socialisation dans la construction identitaire. L’ensemble des travaux à propos des « enfants sauvages » montre cette corrélation étroite et il me souvient de l’histoire de cette jeune enfant loup, morte à dix sept ans, l’age maximal de vie des loups, qui n’a jamais pu se tenir debout ni jamais parler.
Tout ceci tend à nous indiquer que l’essentiel, l’objet de l’humain, est, puisé dans l’être ensemble, le lien social. Il en fait son essentiel, si essence il y a, son fondement, son sacré.


Ce donc sur quoi s’articulent les approches de Michel MAFFESOLI et Hélène RICHARD est cette vie faite de relations et de convictions, de co-construction identitaires et d’intelligence dans la relation et les phénomènes de croyance, de valeurs, d’éthique. Ici, le vertical (diachronie de la transcendance des valeurs et croyances) rencontre l’horizontal (synchronisme du relationnel). C’est à ce carrefour que se trouve "le Diable" de nos essences, de ce que nous sommes, de ce que nous voulons et savons faire. La légende du blues ne naît pas d’un seul imaginaire culturel, mais bien d’une réalité symbolique. A cette croisée des chemins se trouve le fondement de notre réalité humaine, de nos identités, de nos possibles.
Si les moyens de survivance et la satisfaction des besoins fondamentaux étaient le socle de nos réalités, alors la course effrénée à l’avoir serait universelle et perpétuelle. Ors, ce que nous donne à voir Claude Lévi-Strauss, dans ces travaux ethnographiques, est bien cette pluralité de l’humanité loin de cette centration où la croyance, l’identité, la pensée d’une cosmogonie dans laquelle l’humain s’inscrit, font l’humanité. C’est bien le système de représentation du monde comprenant la place et le sens de l’humain qui fait l’objet et la démarche de "l’être au monde".


Ce que nous constatons dans l’évolution de notre société est l’évolution des postures. Au milieu de toute cette agitation post modernes, on distingue un changement culturel qu’expriment des postures en désaccord avec la consommation à tout prix. Plutôt que de courir à faire une carrière brillante, bien des cadres des organisations préfèrent privilégier du bien être, de l’être ensemble, des copains, des amis, du lien social. La publicité l’a compris aussi et tente dans nombre de ses paraboles d’y inscrire ces nouveaux comportements. Nous voyons aussi le développement des modes coopératifs alter consommateurs, non pas pour des raisons strictement économiques mais de lien social. Ces alternants culturels préfèrent l’usage à la propriété. Ainsi se développent des partages et des échanges nés d’abord dans les "banques d’échanges" rationalisé ensuite dans des systèmes "SEL" puis MAPA. Tout un courant comportemental plus éthique, humaniste, voire spiritualiste ou féministe, mais de toute évidence pragmatique et responsables, se développe avec un discours de justification qui n’a rien d’économique, au prétexte que ce serait moins chers ou que les produits seraient meilleurs, mais comme ils l’affirme : « Pour développer du lien social, un mieux être ensemble ».
Ces nouveaux acteurs, qui s’inscrivent dans une alternation* culturelle, proposent un nouveau mode de société centré sur la personne et non sur son économie. La nouvelle réalité est dite. Aujourd’hui se rencontrent dans un autre carrefour l’essentiel de l’humain dont l’approche scientifique nous parle et la posture des acteurs. A ce carrefour se trouve une nouvelle pierre d’angle, un nouveau paradigme social : « la personne au centre ». Depuis plusieurs années, ces valeurs directrices s’inscrivent dans des discours politiques comme un reflet des aspirations des gens. Ils ne les porteraient pas s’ils ne servaient leurs campagnes…


Ces éléments font symptômes de l’émergence de cette alternation culturelle. Elle est bien là, bien présente, pas encore correctement reliée mais ce n’est pas ce que cherchent ces acteurs là. Pas de parti, si non pirate, pas d’association formelle mais des assemblages d’acteurs anonymes actifs et responsables. Ce sont les « Anonymus », les « Indignés », les DIY, les alter consommateurs, des hackers qui s’inscrivent dans ce « Do It Yourself » d’un Allen GINSBERG. Ils ne sont pas des logiques de pouvoir, pas dans des logiques de territoire, de propriété ou d’affichage égotiques. Ils sont dans l’agir communicationnel, la créativité, l’élaboration des cathédrales qu’ils aiment, le plaisir de faire, les coopérations, la maîtrise d’usage. Pour eux, l’économie est un mot étrange. L’œuvre leur parle mieux. Ils semblent avoir remis le monde à l’endroit avec la cathédrale pour objectif et le partage des savoirs, des intelligences et des moyens au service de son élaboration.
Ce nouveau mode social présente donc des caractéristiques spécifiques. Si l'on reprend la polarisation proposée par le sociologue Michel MASFFESOLI, où la post-modernité succédait ainsi à la modernité selon quatre variables :
  • La rationalité moderne a été remplacée par l’émotion directrice hasardeuse
  • L’individu comme base d’organisation s’est vu remplacé par des tribus émotionnelles
  • La hiérarchisation pyramidale, l’organisation verticale, a été remplacé par l’ambiant, le reliant émotionnel.
  • La finalité lointaine, ce lendemain qui chanterait, était remplacée par l’ici et le maintenant
l’alternation culturelle, ou « le temps d’après », ce "déjà-là", se caractérise par :
  • Après l’émotionalité hasardeuse, voici le calme plaisir de faire, le retour à l'oeuvre dans un pragmatisme heureux, intuitif : Just do it yourself !
  • Après le tribalisme émotionnel, voici le retour de la personne engagée, désireuse
  • Après l’ambiant et le reliant émotionnel, voici le réseau de "talents projetés" connectés
  • Après l’ici et le maintenant, voici le hors temps global, avec l’œuvre intemporelle, l'éternité d’un progrès maîtrisé
Les identités s’inscrivent dans la fierté d’avoir réalisé. Peut être bientôt entendrons nous de nouveau ces phrase anciennes : « tu vois, ce truc là, c’est moi qui l’ai fait et tout le monde s’en sert… Génial, non ? » ou plutôt : « C’est nous qui l’avons fait ! Génial ! »

Jean-Marc SAURET
Le 14 août 2012

L'alternation, en sociologie, est le fait de devenir un autre, de changer de culture, de religion, de parti ou de croyances, et donc de posture, de modes de faire et même d’identité. Cf. Claude Dubar, La Crise des identités. L’interprétation d’une mutation, Puf, Le lien social, 2000, p. 171




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